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Arnaud N’guessan, redresseur de coopérative

Les acheteurs de cacao remontent en brousse. Et lUes coopératives, minoritaires, cherchent à se consolider

Dans le vide-poches de la Jeep, Léonard a glissé un CD-Rom. Outre ma curiosité, notre visite au village de Grobonou-Dan est motivée par le nettoyage d’un virus informatique. Opération banale, à ceci près que l’ordinateur, dans un hangar exhalant les effluves de cacao, incarne une petite révolution. Sur l’écran, Amos Koua­mé fait défiler les lots enregistrés: provenance, quantité, taux d’humidité et de moisi, grainage, etc. Nous sommes à une cinquantaine de kilomètres de San Pedro, au centre de ramassage de Coopagro.

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Cette coopérative formée au début des années 2000 réunit 600 planteurs. Elle est soutenue sous forme de préfinancements, dons de véhicules ou conseils par Zamacom, filiale ivoirienne du groupe suisse Ecom Agroindustrial basé à Pully (VD), dont les clients sont notamment Mars, Hershey ou Nestlé.

Il ne s’agit pas de philanthropie, plutôt d’assurer l’avenir. Certes, le réseau de «pisteurs» (rabatteurs transporteurs) et de «traitants» libanais amenait les fèves à bon port même au plus fort du conflit avec les rebelles, mais dans quel état!

Comme si les difficultés naturelles ne suffisaient pas – chaleur, pistes défoncées, fourmis voraces, maladies des gens et des arbres – s’y sont ajoutés le racket, la tricherie sur la marchandise, parfois l’assassinat. Pauvreté ne connaît pas de lois. A Touilh, un planteur s’est fait tuer récemment pour quelques ­dizaines de francs, raconte Arnaud N’guessan, directeur de la coopé­rative CAT. La majorité n’ont pas de compte en banque, et les brigands savent quand et où voler la paie du cacao. «On pourrait écrire un livre avec ce genre d’anecdotes», ajoute Arnaud.

Il fallait faire quelque chose. Transformateurs et exportateurs de cacao sont donc remontés dans la brousse, encourageant les planteurs à se regrouper pour améliorer la régularité et la qualité du flot de fèves qui alimente leurs usines. Armaja­ro,Cargill,Barry Callebaut: tout le monde suit le mouvement. Les tiers-mondistes les soupçonnent de monopoliser le cacao et de dicter les prix.

Reproche étonnant, dans la mesure où ce contact direct et l’effort qualitatif qui y est associé augmentent les montants payés aux producteurs. Reproche infondé, estime Paul De Petter, coordinateur Afrique de Barry Callebaut: «Le marché d’achat est très concurrentiel.» Saco, filiale locale de Barry Callebaut, forme les coopératives à la gestion des risques financiers: «En cinq ans, leur part est passée de 15% à 61% de nos livraisons, alors que celles-ci augmentaient de 100 000 à 160 000 tonnes par an. Nous en sommes très fiers», dit Paul De Petter.

Il s’agit de reconstruire une filière que l’Etat a non seulement délaissée, mais sur laquelle il prélève des taxes officielles et occultes. Les policiers rackettent ouvertement les planteurs sur les routes. Ces derniers touchent entre 35% et 60% du prix mondial du cacao; les fortes variations tiennent au fait que les prix ne sont pas garantis et à des facteurs locaux (proximité des ports). Au Ghana voisin, où l’Etat fixe un prix annuel, les planteurs recevaient en 2006 un pourcentage supérieur par rapport au prix mondial; ce n’est plus le cas aujourd’hui, à cause de l’inflation et du taux de change.

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Revenons à Grobonou-Dan. Nous sommes assis sur quatre bancs de bois formant un carré presque parfait, entourés de cacaoyers. C’est le «champ-école» du village. Les arbres y sont plus espacés, protégés des ardeurs du soleil par des acacias qui consolident aussi la terre. Les branches sont taillées, les cabosses pourries enlevées avant que les champignons ne s’attaquent à d’autres; il y a aussi un compost pour réduire les risques de pourriture et produire un engrais naturel. Grâce à de telles mesures, le rendement a augmenté de 300 kilos par hectare, à 500-600 kilos. C’est nettement moins qu’en Indonésie, mais mieux que la moyenne ivoirienne.

Coopagro a fait les premiers pas vers une production durable avec un contrôle de qualité indépendant et la traçabilité de sa production. C’est déjà énorme quand on sait que les coopératives sont l’exception en Côte d’Ivoire et que nombre d’entre elles usurpent ce nom, n’ayant pas de comptable ni de liste de membres.

Celle de Touilh illustre à la fois les risques et la solution. Un audit y ayant révélé un dysfonctionnement, Zamacom a prêté 25 millions de francs CFA pour éponger les dégâts, en échange d’un coup de sac au sommet. Le nouveau directeur, Arnaud N’guessan, a redressé la barre et tire les leçons: «Pour créer un esprit de confiance, chacun de nous doit jouer son rôle. Nous ne voulons pas de directeur ou de président tout-puissant, le comité de surveillance est indépendant.» La coopérative n’achète pas le cacao aux planteurs: elle fonctionne comme prestataire de services (transport, pesage, ensachage, contrôle qualité, formation) et prélève une commission dont le montant est décidé en assemblée générale.

La coopérative de Touilh monte aujourd’hui en puissance, elle a des projets, comme la création de pépinières (Nestlé a annoncé la distribution en Côte d’Ivoire d’un million de jeunes hybrides plus résistants et productifs), un institut de microfinance pour canaliser l’épargne des planteurs. «Nous avons rehaussé leur image», dit Arnaud N’guessan.

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Mais quelle prime ceux-ci touchent-ils en échange de leurs efforts supplémentaires? J’ai posé la question à plusieurs coopératives. Les réponses oscillaient entre 40 et 60 francs CFA par kilo, selon le degré de certification. Le prix actuel du kilo tourne autour de 600 francs CFA le kilo. La prime de traçabilité et de qualité représente donc moins de 10% du total – à quoi s’ajoute le gain de rendement. Est-ce assez? Non, compte tenu du bas niveau de revenu initial.

Demain: San Pedro, une usine en plein Far West