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Le «Maracaibo clasificado 65%», déclaré meilleur chocolat du monde en 2004 par l’Association italienne des maîtres-confiseurs, est un des grands crus qui sort des conches d’Ibach. Quant à moi, j’ai un faible pour le «cru sauvage Bolivia 68% 60 heures» (de conchage), dont le parcours fait rêver. Felchlin a découvert la Finca Tranquilidad dans une zone marécageuse de l’Amazonie bolivienne. Les autochtones Cambas y pratiquent la cueillette d’un des rares «criollos» restés à l’état naturel, comme aux origines. La fève sauvage est presque deux fois plus petite que les autres. Une fois fermenté, séché et ensaché, le cacao est transporté par pirogue, bateau à vapeur, en camion par-dessus un col andin à 5200 mètres, et en bateau sur 12 000 km jusqu’à Schwyz. Une aventure dont les saveurs emplissent le palais.
«Il y a quinze ans, nous avons mené une réflexion stratégique sur l’avenir de la société, explique le directeur Christian Aschwanden, qui a succédé en 1992 à Max Felchlin, fils du fondateur. Face aux géants, nous avons décidé de miser sur des spécialités de niche et le cacao d’origine.»
Révolution dans le pays où régnait en maître le chocolat au lait! Les concurrents incrédules secouent la tête. Les négociants rechignent à livrer ce petit client aux exigences si compliquées. Qu’à cela ne tienne, Felchlin court-circuite les intermédiaires, envoie son représentant Fritz Inderbizzin arpenter les plantations d’Amérique centrale et du Sud. C’était le bon plan. Aujourd’hui, toute l’industrie développe les origines contrôlées, mais ceux qui ont pris le temps de construire des relations solides gardent une longueur d’avance.
Felchlin paie les producteurs 30 à 40% au-dessus des prix «équitables», parfois davantage. «Pas par pitié, précise Christian Aschwanden. En échange, nous demandons une qualité élevée. La suppression de deux ou trois intermédiaires permet d’arriver à une situation gagnant-gagnant.» Les contrats s’étendent sur cinq ans et prévoient une adaptation annuelle des prix aux cours du marché mondial.
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Qualité, le maître mot. Il remplace avantageusement tous les certificats du monde. «Si les clients exigent ces labels, nous les leur fournirons», dit Stefan Künzli, directeur des ventes. Mais ni lui, ni Christian Aschwanden ne pensent qu’ils remplacent le contrôle de la chaîne en amont par l’entreprise elle-même. Ainsi, Felchlin n’achète plus de cacao de Côte d’Ivoire depuis le début des années 90 – bien avant que surgisse la polémique sur le travail des enfants – parce que la qualité n’était plus suffisante.
Au-dessus de l’entrée du siège de la société, Max Felchlin a fait inscrire cette phrase de Goethe: «Der Geist, aus dem wir handeln, ist das Höchste» («L’esprit dans lequel nous menons nos activités est ce qui compte le plus»). Cela se voit quand on arrive, en fin de chaîne, aux trois conches octogénaires, peintes en brun, qui pétrissent longitudinalement la masse, la chauffent jusqu’à 80 degrés, dégagent les acides par évaporation, avivent les arômes et augmentent l’onctuosité. Un client japonais insistait pour qu’elles ne partent pas à la casse, comme chez d’autres chocolatiers. Pour mieux en maîtriser les subtilités, l’ingénieur Sepp Schönbachler dormit parfois à côté des machines, surveillant l’évolution du chocolat toutes les trois heures. «Nous avons aussi des conches modernes de plus grande capacité, mais celles-ci donnent un chocolat plus riche, plus harmonieux», explique Stefan Künzli.
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Si les ventes de chocolat souffrent aussi de la crise et qu’un brin de snobisme autour du cacao d’origine se calme, Felchlin n’en sent pas l’effet sur ses affaires, sauf un peu aux Etats-Unis. L’entreprise – qui compte parmi ses clients un certain Sprüngli à Zurich – emploie 120 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 53 millions de francs. Prévoyant, Max Felchlin a constitué en 1990 une «Association pour la promotion de l’économie et de la culture» qui détient la majorité des voix tandis que la famille conserve la majorité des actions. Cette construction équilibrée garantit l’indépendance et la pérennité de la société. «Nous voulons gagner de l’argent en toute liberté, sincérité, sérénité et optimisme», disait-il.
*«Le chocolat, ou la saga douce-amère du breuvage des dieux», Mort Rosenblum, Editions Noir sur Blanc, 2008. Lire aussi «Dans les règles de l’art. De la fève de cacao au chocolat extrafin», Paul Imhof, Felchlin, 2008.
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