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Nucléaire iranien. Le coup de force de Netanyahou

Le premier ministre israélien a diabolisé l’Iran devant un Congrès enthousiaste. Ce qui est négocié à Montreux est un «mauvais accord». Barack Obama maintient le cap

Ce n’est pas la première fois que Benyamin Nétanyahou alerte sur l’imminence de la nucléarisation de l’Iran – et il oublie parfois que ses anciennes prédictions ne se sont pas vérifiées. — © AFP
Ce n’est pas la première fois que Benyamin Nétanyahou alerte sur l’imminence de la nucléarisation de l’Iran – et il oublie parfois que ses anciennes prédictions ne se sont pas vérifiées. — © AFP

Le coupde force de Netanyahou

Etats-Unis Le premier ministre israélien a diabolisé l’Iran devant un Congrès enthousiaste

Ce qui est négociéà Montreux est un «mauvais accord»

Barack Obama maintient le cap

Benyamin Netanyahou a fait une entrée triomphale au Congrès américain où les deux Chambres étaient réunies mardi pour écouter un discours qui relevait d’une «mission historique». Dans ses airs de Churchill, le premier ministre israélien a voulu d’emblée rassurer au vu de la tempête politique qu’a provoquée sa venue à Washington. «Mon discours n’est pas politique. […] Et la remarquable alliance entre les Etats-Unis et Israël a toujours été et doit rester au-dessus de la politique.»

Or, invité par le président républicain de la Chambre des représentants John Boehner à deux semaines des élections israéliennes, à l’insu de la Maison-Blanche, une violation du protocole, Benyamin Netanyahou avait un objectif: saper les efforts de l’administration démocrate visant à conclure un accord sur le programme nucléaire iranien que certains soupçonnent d’être de nature militaire. Un affront sans précédent pour Barack Obama qui, depuis son arrivée à la Maison-Blanche en janvier 2009, a tendu la main à «l’ennemi» iranien pour sortir de plus de dix ans d’impasse. Même des voix républicaines jugent l’invitation dommageable non seulement pour les institutions américaines, mais aussi pour la relation israélo-américaine même au-delà de la présente administration.

L’accord que sont en train de négocier avec Téhéran les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Etats-Unis, Chine, Russie, Royaume-Uni et France) et l’Allemagne à Montreux? «C’est un très mauvais accord», estime Benyamin Netanyahou, car «il ne bloque pas le chemin vers la bombe, il le pave». Debout comme un seul homme, le Congrès, privé de 56 démocrates qui ont boycotté l’événement, réserve à l’hôte une standing ovation. Deux concessions sont jugées inacceptables par le chef du gouvernement israélien. La première est de laisser presque intacte l’infrastructure nucléaire iranienne. Téhéran dispose d’environ 20 000 centrifugeuses et des installations à Natanz, Arak ou encore Fordo. L’administration de Barack Obama s’évertue à empêcher l’Iran d’obtenir la bombe, mais diverge quant aux moyens d’y parvenir. Comme l’Iran est un Etat partie au Traité de non-prolifération nucléaire contrairement à Israël, au Pakistan et à l’Inde, elle estime que Téhéran a un droit légitime au nucléaire civil. Deuxième concession intolérable pour l’Israélien: un accord ne durerait qu’une dizaine d’années. A l’échelle d’un Etat, c’est largement insuffisant étant donné que Téhéran aurait, selon lui, l’intention d’éradiquer l’Etat hébreu. Selon le guide suprême iranien, poursuit l’orateur, «l’Iran prévoit d’acquérir 190 000 centrifugeuses» à l’avenir. Benyamin Netanyahou ne croit pas davantage dans le régime des inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Cela n’a pas empêché, dit-il, la Corée du Nord d’acquérir la bombe. Le premier ministre a réfuté la critique selon laquelle, sans accord, la seule option possible était la guerre. «Non, l’alternative à un mauvais accord, c’est un accord bien meilleur.» L’argument est spécieux tant les exigences de Netanyahou posées à l’Iran sont irréalistes.

En un peu plus de trente-cinq minutes, le candidat en campagne électorale Netanyahou a diabolisé l’Iran. Une stratégie risquée au vu de l’isolement croissant de l’Etat hébreu. L’Israélien n’en est pas à son premier coup d’essai. Il avait déjà clamé haut et fort en 1992, puis 1995 dans un livre que l’Iran était à trois ans d’acquérir la bombe. Il répéta le message alarmiste en 2012 devant l’ONU. Si la République islamique, puissance régionale, tire les ficelles au Moyen-Orient, la manière dont le premier ministre israélien a décrit Téhéran pourrait produire un effet boomerang. Netanyahou est même remonté 2500 ans dans l’histoire pour rappeler que la reine Esther avait déjoué un complot contre les juifs fomenté par le vizir de l’Empire perse Haman. Aujourd’hui, le guide suprême Ali Khamenei crache «sa haine et son antisémitisme en recourant à la technologie la plus moderne. Il tweete même en anglais qu’il veut annihiler Israël.» Le président Hassan Rohani et le ministre des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif, pourtant des modérés au sein du régime, sont cloués au pilori. Benyamin Netanyahou met en garde les Américains qui pourraient voir en l’Iran un allié contre l’Etat islamique: «L’ennemi de mon ennemi est mon ennemi», a-t-il ironisé. En guise de caution morale ultime, il a interpellé Elie Wiesel, présent dans la salle, pour lui promettre que les juifs ne resteraient plus passifs face à des «génocidaires» et que les fautes du passé ne seraient pas répétées. Il en va de la survie d’Israël.

Pour la leader démocrate Nancy Pelosi, qui avoue avoir dû retenir ses larmes de colère, l’allocution de Netanyahou fut une «insulte à l’intelligence des Etats-Unis en tant que membre du groupe P5 +1». Ces derniers jours, la Maison-Blanche a vertement accusé Israël de divulguer à la presse des informations ultrasecrètes sur les négociations en cours, une attitude qui, selon le porte-parole Josh Earnest, pourrait être perçue comme «une trahison par nos alliés».

Quant à Barack Obama, il n’a écouté Benyamin Netanyahou ni au Congrès ni lundi devant l’AIPAC, le lobby pro-israélien. A l’image de George Bush père et de Yitzhak Shamir, les deux hommes ne s’aiment pas. A Reuters, le président a rappelé qu’il fallait donner toutes les chances à la diplomatie avant de songer à d’autres options, même militaires.

La prestation de Netanyahou est «une insulte à l’intelligence des Etats-Unis»et à la diplomatie