Le château surchargé de tourelles, derrière la gare de Zurich, a eu longtemps des airs de Belle au Bois dormant. Avant les travaux de rénovation, les visiteurs déambulaient devant le regard énigmatique d’une Vierge en bois, ou entre des poêles en faïence dans des salles aux sombres lambris.
Comment s’attaquer à une telle entreprise de renouveau? «Nous avons renoncé à une présentation chronologique qui couvre toutes les époques. Nous racontons l’histoire de ce qui a fait la Suisse en quatre grands moments thématiques», répond Pascale Meyer. Avec l’histoire des migrations, la religion, le développement économique et la concordance à partir de la création de l’Etat fédéral, on est loin d’une évocation héroïque et martiale de la nation, comme c’était le cas jusque dans les années 1950 dans la fameuse salle des armes. Le choix est le fruit de discussions qui ont duré deux ans avec un conseil de cinq historiens dont notamment, seule Romande, Danièle Tosato, professeure d’histoire moderne à Lausanne, et Jakob Tanner, professeur d’histoire économique et sociale à Zurich et ancien membre de la commission Bergier.
Les échanges entre scientifiques et gens de musée ont été animés. «Les historiens n’aiment pas les simplifications. Ils aimeraient expliquer comment tout se tient, dans un processus complexe et de longue durée. Prenez la Réforme. Pour les spécialistes, ce n’est pas une césure si grande que l’on veut bien le croire. Mais pour nous, qui devons penser à une scénographie, nous devons la présenter comme une rupture, pour que les visiteurs aient devant les yeux une transition nette.»
Pascale Meyer, assistée d’Erika Hebeisen, a dû trancher et oser des lacunes dans le paysage historique. Une des grandes décisions a été de fixer le point de départ de l’exposition. «Nous sommes partis de l’idée qu’il n’y a pas de Suisse primitive, ni de Suisses de souche. L’histoire de l’occupation du territoire, une série de portraits, montre que personne n’a jamais été là depuis toujours.» Pascale Meyer ne croit pas que ces choix vont susciter de grandes controverses: «Nous racontons l’histoire de manière équilibrée. Certes, il est nouveau que l’on ait donné autant de poids à l’histoire économique. C’est l’histoire d’un succès. La Suisse est devenue riche à l’étranger, grâce aux exportations, et aussi aux mercenaires. Même si tous n’ont pas pu profiter de cette prospérité.»
Cette nouvelle exposition, complétée par une galerie de très beaux objets de la collection, ne laisse plus planer de doutes: le Musée national est définitivement un musée d’histoire. Le choix est délibéré, il a été fait il y a trois ans par Andreas Spillmann lorsqu’il a repris, en pleines turbulences, la direction d’une institution qui cherchait sa voie entre événements pour un grand public et mandat législatif de conservation.
L’histoire, soit. Mais comment la montrer? Car il y a plusieurs écoles. Pascale Meyer, après des études d’histoire et un post-grade en muséologie, a toujours travaillé dans des musées, notamment lors de stages aux Etats-Unis. «Là-bas, c’est le règne de l’hyperréalisme. Tout est reconstruction, mise en scène. Sur la Côte ouest, pas un musée local qui n’ait son saloon. Au début, j’étais choquée. Nous avons une approche plus intellectuelle. Mais nous pouvons nous inspirer des musées américains, ils sont très proches de leur public; ils doivent l’être, car ils ne sont pas subventionnés. Pendant longtemps, on a refusé d’être didactique dans les musées suisses. Mais je le revendique. Je veux apprendre quelque chose aux gens, sinon cela n’a pas de sens.»
Pascale Meyer s’empresse toutefois de préciser: «Le public ne va pas se trouver face à une interprétation officielle de l’histoire suisse.» Au début du XXe siècle, le Conseil fédéral avait dû se déplacer à Zurich pour arbitrer la polémique allumée par La Retraite de Marignan. Il avait soutenu Hodler contre les milieux qui estimaient que ses soldats ensanglantés, dont l’un même aux jambes sectionnées, n’étaient qu’une représentation ordurière de la vaillance helvétique.
Vendredi, la conseillère fédérale Doris Leuthard n’a d’autre mission que d’inaugurer dans l’harmonie ce nouveau panorama de l’histoire suisse.