La visite démarre par une petite côte à grimper à pied. «Vous entendez quelque chose?» lance Pierre Berger. Les clochettes accrochées au cou des vaches. Et, oui, maintenant qu’il le dit, un faible sifflement. L’éolienne est à une centaine de mètres.
C’est une «pionnière», l’une des trois montées en 1996, une Vestas V44. Une «minuscule» machine d’une puissance de 600 kilowatts (kW), de 67 mètres de haut – 45 mètres pour le mât et 44 mètres de diamètre pour les pales. «A pleine puissance, à 28 tours/minute, la vitesse en bout de pale est de 230 km/h», explique Pierre Berger. Il ouvre la porte de la base du mât, on y pénètre, c’est un cylindre de quatre mètres de diamètre. Une échelle permet de grimper à la nacelle. Les pales ne doivent pas tourner pour s’y faufiler. Au pied, un tableau électronique indique en permanence la vitesse du vent. 5,5 m/s. La machine fabrique de l’électricité. Un tout petit peu. «A moins de 2,5 m/s, les pales ne tournent pas. Entre 2,5 et 4,5 m/s, l’éolienne tourne, mais elle ne produit toujours pas d’énergie, elle en consomme. La génératrice de l’éolienne n’injecte de l’électricité dans le réseau qu’à partir de 4,5 m/s. Elle atteint sa pleine puissance avec des vents de 14 m/s.» Et de convenir qu’en Suisse, les «vents ne sont pas folichons», que l’efficience d’éolienne serait supérieure sur certains sites «interdits», comme le Chasseral voisin. Pierre Berger note qu’«une éolienne y produirait le double d’électricité».
Il n’empêche, relève-t-il: «Nous avons tout de même de bons rendements.» 16%. Par rapport à un maximum théorique, qui verrait les hélices tourner à pleine puissance en permanence. Or, à cause de vents insuffisants et inconstants, les éoliennes sont à l’arrêt un cinquième du temps. Un autre cinquième, elles tournent pour beurre, «elles brassent du vent», ironise Pierre Berger. Et, 60% du temps, elles produisent de l’électricité. «Sachez encore que l’éolienne n’extrait que 35% de la force effective du vent, poursuit le guide. C’est la loi de Betz. Il faut que le vent traverse les pales. Si elles assimilaient toute la force du vent, cela générerait des perturbations avec des répercussions mécaniques.»
Le parcours, de là, conduit aux hélices les plus récentes, les Vestas V66, installées en 2004, avec une puissance de 1,75 MW, proches du standard des éoliennes susceptibles d’être installées dans le futur en Suisse. Elles afficheront une puissance de 2 à 2,5 mégawatts, avec des pales articulées au sommet de mâts de 100 mètres. Pourquoi ne plante-t-on pas certaines machines à la pointe de la technologie, de 5 à 6 mégawatts, comme au large de l’Allemagne du Nord? «Ce n’est tout simplement pas possible de les amener et les monter ici, explique Pierre Berger. Il faut transporter les mâts et, surtout, les pales, construites d’un seul tenant.» Et de pointer son index vers les chemins de montagne voisins, étroits et sinueux. Sans compter l’impact paysager de méga-machines.
Le parc de Mont-Crosin est, pour l’instant, le seul en fonction en Suisse. C’est la société américaine Cannon qui s’y est intéressée la première, au début des années 1990. Elle imaginait ériger 60 «petites» machines de 250 kW et 40 mètres de haut. Le projet a capoté, «racheté par FMB Energie SA en 1995 et qui a impliqué les populations locales». Trois machines sont montées en 1996. Avec l’assentiment des paysans et des propriétaires fonciers locaux. «Il n’y avait pas de réticence face aux éoliennes, se souvient Pierre Berger. Les craintes étaient focalisées sur les touristes qui viendraient voir les machines. C’est pour les canaliser et éviter les déprédations qu’un sentier didactique a été créé.» FMB a eu l’habileté de «disséminer» les éoliennes sur les terres de plusieurs propriétaires, défrayés. Les huit installations sont implantées sur les six kilomètres de crête.
Le 10 août prochain, Juvent SA, filiale de FMB et d’autres sociétés électriques, met en route le montage de huit nouvelles machines. Une étude «d’acceptabilité», indépendante, avait conclu qu’on pouvait monter jusqu’à 20 éoliennes sur le site. Les huit nouvelles éoliennes, d’une puissance de 2 MW, générant des investissements de 60 millions, «quadrupleront la production du parc», lance fièrement Pierre Berger. Leur hauteur totale dépassera 140 mètres: 100 mètres pour le mât et des pales de 90 mètres de diamètre. «Pendant qu’on verra de nouvelles hélices tourner, les poteaux et les lignes électriques aériens disparaîtront du paysage, précise le guide. Tout sera enterré.»
Au Mont-Crosin, depuis plus de dix ans qu’elles tournent, les éoliennes font partie du panorama et du quotidien des habitants. «Comme les coqs des clochers», sourit Pierre Berger. «On nous dit: ça enrichit le paysage, ça le rend vivant. C’est devenu une composante de notre identité régionale. Ça fait connaître la région et ça génère des revenus annexes.»
Et les désagréments? Les oiseaux déchiquetés? Pierre Berger en rit. «On n’a jamais vu d’oiseaux fracassés par les pales. Ce n’est pas une région de migration. On a, une fois, trouvé une chauve-souris morte au pied d’une éolienne. Mais elle n’avait aucune trace de lacération…»
Le bruit? «Ma ferme est à 140 mètres de l’éolienne. Dans l’habitation, et devant, à l’opposé de la machine, on n’entend absolument rien. Quand on ne la voit pas, on ne l’entend pas. Et le sifflement est la plupart du temps couvert par le bruit du vent dans les branches.»
Pierre Berger met en avant un désagrément dont on ne parle pas, l’impact stroboscopique. L’ombre au sol des pales qui tournent, qui peut aller jusqu’à 3 kilomètres avec le soleil rasant d’hiver. «C’est gênant pour lire ou quand vous ramassez des patates», blague-t-il.
Demain: l’aqueduc de La Chaux-de-Fonds (1865)