Cinéastes, écrivains et chansonniers suédois ont contribué à la légende de l’été suédois. Des œuvres marquantes associent, parfois jusqu’à la caricature, l’été à des événements heureux ou exaltants. La saison propice à l’amour, à l’insouciance, à l’apaisement, au bonheur simple dans une nature sauvage – l’île est un décor récurrent. Des moments suspendus, propices à l’évasion et à la liberté. A l’inverse, les turpitudes du quotidien sont noircies par leur rattachement au froid extrême et à l’obscurité pesante de l’hiver interminable.
Comptant parmi les premiers chefs-d’œuvre d’Ingmar Bergman, Jeux d’été (Sommarlek, 1951) et Un été avec Monika (Sommaren med Monika, 1953) sont deux films totalement associés à l’été et ce qui le caractérise: soleil, chaleur, clarté, nature à son point culminant de fécondité. A leur sortie, ils ont fait sensation avec leurs scènes de nu esthétisant le rapport intime de la femme avec la nature. Ces œuvres – et d’autres, de la même époque, comme Elle n’a dansé qu’un seul été d’Arne Mattson (1951) – «sont responsables du mythe encore vivace d’une Suède peuplée de belles blondes pulpeuses sexuellement libérées, plongeant nues dans les vagues sous le soleil de minuit», commente Eva Sigsjö, de l’Institut suédois à Stockholm.
Ingmar Bergman a travaillé dix ans sa technique quand il tourne Jeux d’été avec une équipe réduite. Jean-Luc Godard a dit, crié même, que c’était «le plus beau des films». Le public suédois l’a adoré avant qu’il ne soit éclipsé par Un été avec Monika. Des cadrages improbables mais toniques participent à cette atmosphère de liberté que dégage l’idylle, passion simple et rieuse, vécue le temps d’un été sur une île par une danseuse et un étudiant. Une histoire d’amour exclusivement diurne, éloge enivrant du bonheur hédoniste, avec ses baignades et ses jeux érotiques sous une lumière caressante.
Un été avec Monika campe la vie sauvage de deux amants sur l’île d’Örnö. Mais l’été est bref. Et, quand il s’en va, le manque d’argent contraint Monika et Harry à retourner à la ville. Elle est enceinte, il l’épouse. La banalité du quotidien et la grisaille des sentiments brisent l’équilibre du jeune couple, qui finit par se désunir. Dans ce chef-d’œuvre, Monika, figure de proue, court nue sur les rochers face à la mer, ensorcelant Harry. Sauvagesse à la féminité puissante, femme duelle qui grandit au contact de la nature, elle est aussi une midinette, illusion victime de l’illusion. Bergman tourne le dos à l’impossible rêve d’un couple heureux dans la durée d’un monde harmonieux. Dans ce dispositif, l’été est la parenthèse parfaite, la vie rêvée que brise la réalité, impitoyable.
Dans Les chaussures italiennes, le romancier Henning Mankell raconte l’histoire de Fredrik Welin, chirurgien sexagénaire vivant reclus sur une île de la Baltique depuis qu’il a commis une grave erreur médicale. Un jour d’hiver, l’intrusion de Harriet, l’amour de jeunesse trahi sans explication 40 ans plus tôt, brise sa routine et le réveille à la vie et aux autres. Mais Harriet, atteinte d’un cancer, est mourante. Quand elle réclame de venir achever sa vie sur l’île de Fredrik, celui-ci accepte et l’accompagne dans son agonie. Il est significatif que Harriet se prépare à mourir l’été, quand les beaux jours et la canicule lourde se sont installés. Peu avant de mourir, elle aura droit à sa «fête d’été», précisément le jour du solstice d’été, le plus long de l’année. Une soirée interminable passée à manger, rire et trinquer jusqu’à l’ivresse avec quelques amis. Un moment mémorable, condensé d’éternité heureuse qui contraste avec les douleurs et la colère rentrée d’une existence jusqu’alors placée sous le sceau de l’échec. «L’été suédois était capricieux, certes, et ne durait jamais très longtemps. Mais il pouvait être d’une beauté étourdissante, comme ce soir», écrit Mankell. Harriet s’en ira quelques semaines plus tard «dans l’obscurité d’août», celle qu’on appelle «la nuit des anguilles». Avant le rapide retour de la première gelée.