Conflits d’intérêts

autour du château de Coppet

Immobilier Le rôle ambigu du syndic et les querelles d’héritiers minent un projet test

pour la densification de la commune et de l’Arc lémanique

Ancien journaliste devenu médiateur, Laurent Bonnard est «impressionné» par la qualité du débat qu’il anime depuis plusieurs mois sur l’avenir du bourg de Coppet. La quantité, elle, n’est pas au rendez-vous ce mercredi soir 9 février pour le septième atelier de discussion. La vingtaine de personnes réunies à la salle communale sont toutes des élus, des géomètres ou consultants divers.

Toutes s’accordent sur un point: on ne préservera pas l’identité de Coppet en la mettant sous cloche. Toutes sont convaincues, avec des nuances, que le plan directeur de la Gare (qui n’a pas trouvé jusqu’ici d’appellation plus poétique que PDL) est une solution logique pour densifier l’habitat autour des voies CFF, redonner du souffle à la commune et assurer l’avenir du château dont Germaine de Staël fit un haut lieu de la culture européenne.

Le boycott des opposants au projet, regroupés au sein de Vision Coppet, n’explique qu’en partie les chaises vides. Laurent Chenu, conservateur cantonal des monuments et des sites, qualifie la commune de «dortoir doré»: la majorité des 3000 habitants travaillent à Genève et n’ont qu’un rapport distendu au bourg, dont les commerces périclitent à petit feu.

Les autorités ne ménagent pas leurs efforts pour convaincre la population de l’intérêt de ce développement, qui se double d’un enjeu immobilier à 100 millions de francs au bas mot. Le syndic de Coppet, Pierre-André Romanens, également président du comité de direction de Regionyon, a mis une énergie particulière à faire avancer le PDL. Traité de bétonneur parce qu’il dirige aussi une entreprise de maçonnerie, il a écarté la critique «déplacée», sa société ­RD bat SA étant «trop modeste».

Sauf que Pierre-André Romanens est actif dans d’autres sociétés. Il est administrateur unique de Romanens SA, «conseils et assistance en matière de développements de projets immobiliers; achat vente et mise en valeur de biens immobiliers; étude et réalisation de mandats en entreprise générale». Il siège aussi au conseil d’administration de la société immobilière Littoral Parc, en compagnie de cadres d’Implenia, le plus grand prestataire suisse dans le domaine de la construction. Depuis août 2010, son représentant est Yves Perriraz, responsable romand d’Implenia Development. Contacté par Le Temps, ce dernier confirme ce partenariat, actuellement limité à un grand chantier à Etoy. «Nous n’avons pas d’autres relations d’affaires avec les sociétés de M. Romanens», ajoute-t-il.

Quant à savoir si Implenia se mettrait sur les rangs pour réaliser le PDL de Coppet, Yves Perriraz répond qu’il est «trop tôt pour en décider, cela dépendra du propriétaire», mais il n’exclut pas cette éventualité. Zschokke, une des sociétés aujourd’hui fusionnées dans Implenia, avait déjà été mandatée pour étudier le contournement routier du bourg, dans la même zone que celle du PDL.

Les prédécesseurs d’Yves Perriraz au conseil d’administration de Littoral Parc, François Dieu et Anne Grossmann, ont créé leur propre société, Créateurs immobiliers. Ils disent n’avoir «aucun contact avec Pierre-André Romanens» à propos du PDL de Coppet et ajoutent que si celui-ci se réalise, il les intéressera «comme tout projet bien situé sur La Côte».

Interrogé sur un possible conflit d’intérêts, le syndic affirme qu’il n’a «ni les ambitions, ni les moyens de réaliser ce genre de projets» et que ses sociétés n’y sont «absolument pas impliquées». Aujourd’hui non, mais après-demain? Pierre-André Romanens ne se représente pas aux prochaines élections, ce qui fait dire à un propriétaire que l’ex-syndic sera alors «plus libre pour se replacer» dans la réalisation du projet qu’il défend.

Le municipal des Finances, Gérard Produit, relève que si l’entrepreneur Romanens a fait des travaux de rénovation au château de Coppet, il s’est en règle générale abstenu de mélanger son activité professionnelle avec celle de syndic. «Malheureusement, les situations de ce genre génèrent la méfiance, et ce n’est pas positif pour le PDL de Coppet», admet-il.

Pour Catherine Labouchère, membre du conseil de la fondation Othenin d’Haussonville, chargée de mettre en valeur le patrimoine du château de Coppet, le cas illustre les limites de l’engagement politique milicien: «Les municipaux sont mal payés, il faut bien qu’ils gagnent leur vie, et les conflits d’intérêts sont programmés». Ceux de Coppet viennent d’adapter leurs émoluments, à 40 francs l’heure. Même pas le double du salaire d’une femme de ménage, pour un mandat exigeant et exposé.

Catherine Labouchère s’inquiète d’un autre conflit d’intérêts, opposant cette fois le comte Othenin d’Haussonville, propriétaire du château de Coppet et principal concerné par le PDL, à ses enfants. Fin octobre 2010, ces derniers écrivaient au Conseil communal pour demander le retrait du plan de développement de la gare, «qui nous semble de nature à porter atteinte à l’intégrité du site exceptionnel que constituent ensemble le château et le bourg». Othenin d’Haussonville, 79 ans, dont l’engagement et la fortune ont préservé jusqu’ici le patrimoine inestimable du château, a sèchement répondu qu’il reste jusqu’à nouvel avis l’unique propriétaire des parcelles concernées.

La querelle familiale porte aussi sur l’affectation des fonds que dégagerait un projet immobilier sur une partie des terrains du château. Après l’échange de lettres, les uns et les autres se murent dans le silence. Intendant du château de Coppet, Renzo Baldino assure que le comte est «favorable à un développement harmonieux autour de la gare», mais ajoute qu’il n’a pas pris position sur le PDL, ce qu’il fera après le vote du Conseil communal prévu pour le 30 mai ou le 6 juin.

«Il y a beaucoup de points d’interrogation», soupire Catherine Labouchère. «J’ai encore une tonne de questions à poser», dit en écho Christine Bruderlein, conseillère communale membre de la commission de mobilité. Il reste un dernier atelier pour y répondre – si possible de façon plus concrète que: «Coppet doit refondre son identité dans son histoire et redevenir un lieu de centralité.»