LOCARNO
Tandis que les autorités locales rêvent d'un palais du cinéma, les organisateurs du festival demandent une rallonge à la Confédération. Pascal Couchepin «comprend» mais suggère d'en rediscuter «à l'issue de cette édition».
C'est la fin d'une période «acide», estime Pascal Couchepin. Après les remous à la tête de l'Office fédéral de la culture (OFC), puis les crispations liées à l'arrivée de Nicolas Bideau à la direction de sa section cinéma, le conseiller fédéral voit la cuvée Locarno 2006 comme celle du nouveau départ. Et rigole au passage des critiques récentes sur la mainmise des Romands dans les sphères fédérales de la culture: «C'est anthropologique, les francophones ne se voient pas comme une communauté, mais comme des individus. Nous avons la même attitude envers nos frères de langue allemande ou française.»
Blague communautaire à part, les polémiques ne sont pas mortes pour autant, mais plus techniques, portant sur le nouveau régime de soutien aux films introduit par Nicolas Bideau, ou sur les personnes choisies. Ces jours à Locarno, les discussions de coulisses portent davantage sur le festival lui-même. Son président Marco Solari a allumé la mèche l'année passée, il récidive: pour tenir son rang, la manifestation doit obtenir une aide accrue de la Confédération. Le président joue sur l'ambiance de renouveau qui marque cette édition, la première sous la direction artistique de Frédéric Maire, pour appeler à un «saut qualitatif». Le festival affiche un budget de 9,8 millions de francs, dont 1,2 million de la Confédération, selon un plan valable jusqu'à 2007.
Pascal Couchepin dit «comprendre» les arguments de Marco Solari. D'autant que le festival, après les années d'Irene Bignardi marquées par une «richesse artistique et une gestion un peu baroques», prend un «bon départ». Mais s'agissant des subsides, la prudence reste de mise. Et le ministre d'exercer une légère pression sur la nouvelle équipe, glissant que le sujet devra être rediscuté «à l'issue de cette édition».
Autrement dit, les organisateurs sont attendus au contour. Politiquement, un éventuel succès de la présence helvétique à Locarno constituerait un argument de poids. Frédéric Maire a en effet accru de manière sensible la présence de films suisses, en particulier sur la Piazza Grande, avec trois longs-métrages, une coproduction et des courts-métrages. Un choix certainement sincère. Qui offre cependant l'argument tactique d'une demande de rallonge fédérale en faveur d'un festival ouvert au grand large tout en ne snobant pas, ou plus, la production nationale. D'autant que l'OFC lui-même fait grand cas de sa journée du cinéma suisse, mardi, première du genre à Locarno. Portant son tee-shirt orné d'un léopard blanc sur fond rouge - le félin a un air plutôt agressif, ce doit être une allusion au nouveau mordant du cinéma suisse -, Nicolas Bideau mise sur cet événement pour offrir un nouveau rendez-vous à la profession et au public. «Je dois m'occuper de la ménagerie, dit-il, faire en sorte que les gros léopards comme les petits trouvent leur public.»
Au demeurant, l'expansionnisme des dirigeants du festival est conforté par les autorités de la région. Le canton du Tessin a augmenté son aide, et l'a consolidé pour quatre ans, au total, 12,5 millions de francs de 2006 à 2010. Après d'innombrables rumeurs évoquant un déplacement de la manifestation, et alors que celle-ci glisse un peu vers Ascona, la Municipalité de Locarno réagit en dégainant un projet massif: son palais du cinéma. Une tour de 70 mètres de haut, qui abriterait huit salles de projection, des espaces de travail, un hôtel quatre étoiles d'une centaine de chambres ainsi qu'un centre commercial. Le coût estimé est de 100 à 120 millions, dont la moitié devrait être fournie par le secteur privé. Une demande de 22 millions a déjà été déposée au législatif de la ville. Ses autorités espèrent ainsi régler les problèmes récurrents du festival, à commencer par sa dispersion géographique, tout en insérant Locarno dans le réseau suisse d'études du cinéma avec un centre de recherche.
A Swissinfo, la syndique Carla Speziali expliquait récemment que sa ville étant «reconnue comme un pôle national du cinéma, elle doit assumer son rôle de point de référence pour l'étude et le développement du secteur cinématographique et télévisuel». Le gigantisme du projet provoque des grincements de dents, mais son avocate principale ne manque pas de crédit: auréolée d'un Swiss Award 2005 par la presse alémanique, qui l'a beaucoup médiatisée, la radicale Carla Speziali a la cote, au point que certains la verrait déjà en lice pour une succession au Conseil fédéral. Elle est aussi la nouvelle vice-présidente du conseil d'administration du festival. De quoi agiter le léopard face à la Berne fédérale.