La vie en courant (2)
Cet été, «Le Temps» court avec des personnalités du monde politique, économique et culturel qui chaussent régulièrement leurs baskets. L’invité choisit le parcours, l’heure et le tempo de la foulée… Chemin faisant, il confie son plaisir de la course à pied. Pourquoi court-il, un peu, beaucoup, passionnément? Après quoi court-il? Aujourd’hui, Anne-Catherine Lyon, conseillère d’Etat vaudoise. Elle recherche le mouvement contre l’immobilité du politique

En été, Anne-Catherine Lyon court au Chalet-à-Gobet, dans les bois du Jorat. La conseillère d’Etat socialiste chausse les baskets deux fois par semaine, si elle peut. Chantal Ostorero, chef du Service de l’enseignement supérieur, ancienne conseillère personnelle, l’accompagne. «Je ne cours pas seule. A deux, la motivation est plus grande. Ça permet de garder une certaine régularité. Et on peut parler», scande l’élue de 50 ans au rythme de son souffle.
La ministre de l’Instruction publique et de la culture a commencé à courir pour se préparer aux autres sports qu’elle pratiquait dans sa jeunesse: handball, volleyball. «On détestait ça. Plus tard, petit à petit, j’en suis venue à la course à pied pour elle-même; en groupe d’abord, ensuite avec Chantal.»
«Je suis une boulimique contrariée de la course. Dans l’idéal, j’aimerais faire du jogging trois fois par semaine. Mais le travail…» La traversée d’un champ fauché brouille les mots. «Le sport est central dans ma vie, même s’il devient de plus en plus difficile de trouver le temps. Si on y ajoute la météo, c’est encore plus dur. Je ne cours pas quand il fait froid. Ce n’est pas bon pour les poumons.»
«Pour l’entraînement aussi, il faudrait alterner les programmes. Surtout si on veut préparer un marathon. Mais évidemment, je fais tout le contraire: toujours le même parcours à la même vitesse.» Experte, la ministre prétend avoir une morphologie pour les 800 mètres plutôt que pour les longues distances. Anne-Catherine Lyon évoque le plaisir des courses populaires. Elle énumère les 20 km de Lausanne, Morat-Fribourg, le marathon de Lausanne, celui de New York qu’elle a achevé trois fois, Rome.
Elle ne recherche pas la souffrance. «Non, c’est l’entraide entre le corps et l’esprit que j’apprécie.» La socialiste analyse: «Lors d’un marathon, pendant les 25 premiers kilomètres, c’est le corps qui vous porte. Après, le mental prend le dessus. A partir de 35 km, le corps reprend la main. A la fin, le cerveau reptilien dicte la cadence d’une course réflexe.»
La politicienne dévoile sa philosophie. «Chaque pas doit être accompli, tout le temps.» Elle glose sur le «deuxième souffle: quand les endorphines anesthésient la fatigue, je sens que je vole. Cela m’est arrivé trois ou quatre fois en trente ans.»
Sur le retour, l’inspiration devient politique. «J’aime le côté totalement démocratique de la course. Il suffit d’une bonne paire de chaussures et c’est tout. On n’a que son propre corps. C’est un challenge. Je connais de très bons coureurs qui ont eu des fringales monstrueuses qui les ont terrassés. On est vraiment à nu dans la course. Un ami, sur Sierre-Zinal, mort de faim, a supplié une famille qui pique-niquait de lui vendre un gâteau entier. Il l’a avalé en quelques bouchées et a terminé la course.» Elle tranche, c’est une leçon d’humilité vis-à-vis de soi-même et des autres.
Plus personnelle, elle assume presque sans transpirer le contraste entre la dimension sportive, exacerbée, et le profil froid de la femme publique. Ce qui lui coûte dans le travail, c’est l’immobilité. Elle a compté une fois les pas pendant une journée: 533 alors qu’il faudrait en faire 10 000 pour être en bonne santé, soupire-t-elle. Une cathédrale de sapins s’élève sur le chemin.
A quelques foulées de l’arrivée, Anne-Catherine Lyon note à quel point il est bon de remplacer la fatigue nerveuse par l’épuisement physique. «La pensée circule à nouveau. Le cerveau se décompresse, il respire», jure-t-elle, avant de se remettre au pas, souriante.
«J’aime le côté totalement démocratique de la course»