Adam Laloum, 26 ans, forge sa place parmi les grands. Le pianiste français, en concert mardi après-midi au Verbier Festival, à l’Eglise, devant une salle hélas pas très pleine, jouait Brahms, compositeur fétiche dont il a signé un premier disque paru en 2011 chez Mirare. Les pièces jouées, toutes parmi les recueils tardifs du compositeur («l’Opus 116», «l’Opus 117» et «l’Opus 118»), réclament une maturité musicale qui n’est pas donnée à tous.
Adam Laloum, vainqueur du Concours Haskil de Vevey en 2009 (lire le portrait paru lundi 29 juillet dans «Le Temps»), n’a aucun souci à se faire: chez lui, la musique est de toute façon une affaire de plongée de soi. En deux ans, depuis la dernière fois qu’il s’est produit à Verbier (à l’été 2010, dans les «Davidsbündlertänze» de Schumann et la «Sonate en sol majeur D 894» de Schubert), il a gagné en étoffe et puissance sonore – c’était son point faible. L’élève d’Evgueni Koroliov, à Hambourg, est capable de jouer plein et fort, parfois avec beaucoup de volume, sans heurter l’instrument. Il adore les sonorités ouatées, utilise la pédale de manière intelligente et poétique pour camper des climats dans la musique du dernier Brahms.
On s’étonne de voir ce musicien, qui a l’air presque chétif en dehors de la scène, prendre pareillement possession du clavier. La page très orchestrale qui ouvre les «Sept Fantaisies» de l’«Opus 116», pleine de sauts et d’octaves, respire une belle ampleur sous ses doigts. Adam Laloum se montre impétueux, comme dans la «Ballade en sol mineur Opus 118 No3», voire rageur et tourmenté (le développement médian de l’«Opus 118 No6»), tout en marquant les contrastes au sein même des pièces (tel épisode lyrique et caressant). La beauté du son, une obsession chez lui, n’est pas une chimère. Il porte une attention à l’équilibre des plans, à la lisibilité des textures, tout en privilégiant une certaine rondeur. Occasionnellement, la pédale tend à saturer les sons lorsque l’écriture devient très chargée; le débit pourrait aussi être un peu plus allant (l’«Opus 117 No2»), mais son jeu est constamment habité.
Cette plénitude du son fait la signature de Laloum, très différente du jeu plus effilé d’un Alexandre Tharaud. Bien sûr, le piano (comme la voix ou tout autre instrument) est un monde en soi, qui permet toutes sortes d’approches selon la personnalité du musicien, sa morphologie et ses possibilités techniques. Mais il y a des pianos qui ont plus de chair poétique que d’autres. L’«Intermezzo Opus 119 No1 en si mineur», joué en bis, éclaire toujours plus l’aspect crépusculaire du dernier Brahms. Adam Laloum fait chanter la ligne, avec un souci constant du beau son.