La plupart du temps, les cases de tôle ondulée ont été remplacées par des HLM. Quartier Boissard, commune des Abymes, la bien nommée, il semble que le vent marin n’ait jamais soufflé ici. Le dimanche, les jeunes désœuvrés passent leur après-midi sur des parkings, dans des voitures françaises dont l’autoradio transpire de contretemps jamaïcains. Les impasses portent le nom de soldats républicains et de poètes guadeloupéens. Il fait si chaud qu’on ne se risque pas jusqu’au Kentucky Fried Chicken de Pointe-à-Pitre.
Admiral T a grandi sur ces rues sans trottoir, vieux bidonville ultramarin où des vocations guerrières sont nées. Ni électricité ni eau courante. De quoi alimenter, aussi bien, peut-être mieux, que dans les banlieues métropolitaines, une amertume versifiée de créole et d’anglais. Chez lui, on écoute peu le bon gros zouk caraïbe, danse lascive qu’on humecte de rhum blanc. La génération d’Admiral T, né en 1981, est branchée sur Kingston, la Jamaïque, le dancehall et une mythologie atlantique du gangster révolutionnaire.
L’horizon est insulaire, on n’imite pas les rappeurs américains. Mais les textes des rastas intégristes qui en appellent au nettoyage des ghettos autant qu’au lynchage des homosexuels. A ses débuts, Admiral T gribouille quelques textes anti-pédés, pour faire comme ses maîtres jamaïcains, comme Buju Banton, Sizzla et Bounty Killer. A l’époque, cela ne prête pas à conséquence. Le langage de haine n’est qu’un rite de passage. Mais lorsqu’il obtient, en 2006, le Prix Césaire de la musique, des associations gays se rebiffent. Demandes en réparation. Et boycotts de concerts.
Admiral T ne comprend pas cette obstination à lui faire payer des rimes anciennes. Il dit que les associations locales sont manipulées par les associations parisiennes, qu’on veut donc à tout prix imposer des valeurs continentales sur des îles qui n’ont rien demandé. Le mode de défense est connu, il est adopté par la plupart des stars jamaïcaines auxquelles on reproche leur foncière homophobie. C’est une question de toute éternité pour les musiques noires.
Elles sont sommées, lorsqu’elles quittent leur biotope, de porter encore les traces du voyage. On raffole de leur «authenticité» et de leur «accent de vérité». Mais on souhaiterait qu’elles se conforment tout de même à la bienséance humaniste des festivals qu’elles traversent. Admiral T a appris la leçon. D’une voix énorme, tannée à l’étuve guadeloupéenne, il évite désormais soigneusement les thèmes qui fâchent ailleurs. «Je serais l’homme-famine, l’homme-insulte, l’homme-torture», écrivait Aimé Césaire, dont la subversion n’était pas haineuse.
Admiral T, Village du Monde, ce soir 20h. www.paleo.ch
Cette chronique aborde une île chaque jour de ce Paléo Festival où les Caraïbes sont à l’honneur.