L'engouement inaugural pour Beau Dommage, qui a vu des familles installer chaises pliables et déplier couvertures dès la fin de l'après-midi, a d'abord dû passer par un spectacle faire-valoir en hommage à Beau Dommage. Concert orchestré par plusieurs générations de voix canadiennes, dont celles de jeunes fringants typés comme Vincent Vallières (gagnant au Québec du prestigieux Prix Félix-Leclerc cette année), Mara Tremblay et Mes Aïeux. En prime, la reformation pour la quatrième fois en vingt-cinq ans d'un quintet historique dont le moindre Québécois est capable de «turluter» le répertoire quasi exhaustivement: de 23 décembre au Blues d'la métropole via A toutes les fois et Echappée belle. Cette institution de la pop, ciment d'une identité québécoise, est filmée par la télévision publique. Et se voit même introduire par un discours enflammé d'un ancien membre du Parti québécois du mitan des années 70. Qui va jusqu'à affirmer: «On ne peut imaginer notre peuple sans Beau Dommage!»
Heureusement, l'esprit des FrancoFolies ne saurait se résumer à la seule célébration de vieilles gloires qui, même dotées d'un sens consommé des harmonies, ont perdu en superbe musicale. Et en panache. Tout ce dont n'a pas manqué TTC à deux pas de là. Les rappeurs parisiens, aussi speedés que sexuellement obsédés et imbibés de second degré, remporteront un vif succès deux soirs d'affilée. A ciel ouvert comme dans le club Spectrum, leur hip-hop électronique et leurs scansions épileptiques sont ravageuses. TTC allant vendredi jusqu'à cruellement éclipser le rap mou et les textes flous du Québécois latino Daniel Russo Garrido offerts comme mise en bouche.
La programmation des FrancoFolies a l'art des grands écarts. C'est la carte que semble jouer une affiche gloutonne qui brasse un large spectre d'esthétiques. Tout en concoctant des moments uniques, via cartes blanches artistiques (à Alain Bashung pour deux soirées magiques de poésie rock, à une ex-Star académicienne d'ici, Marie Elaine Thibert), séries spéciales et spectacles inédits (Diane Dufresne chante Kurt Weill avec un orchestre symphonique, Les héritiers de Félix Leclerc, Tous au bout du monde avec Gilles Vigneault ou La party à Eric Lapointe). Une diversité à l'image d'un Montréal ambivalent qui cultive une francophonie métissée: des Maliens mélos Amadou & Mariam à un Lokua Kansa aux mélodies acoustiques imprégnées du Congo et du Rwanda, du pied-noir Enrico Macias en transit andalou-oriental à l'Ivoirien militant en exil bamakois Tiken Jah Fakoly. Sans compter les partitions de tous ces Québécois de sangs mêlés avec Haïti, le Brésil, les pays des Balkans ou les îles Caraïbes.
A ce télescopage sans frontières se greffent évidemment les timbres typés de la francophonie canadienne grâce à une constellation d'étoiles d'ici: Pierre, Eric ou Hugo Lapointe, Yann Perreau, Les Secrétaires Volantes, Ginette, Florent Vollant, le sirupeux Dany Bédar ou le rockeur Stefie Shock présent au dernier Paléo Festival. Ainsi que les vedettes de France dans le sillage de Bashung et d'une imposante délégation d'artistes Universal Music: Christophe, Juliette, Lavilliers, Paul Personne, Daniel Darc ou Nolwenn. Camille, JP Nataf, Albin de la Simone, Françoiz Breut, Marcel et son orchestre, No One Is Innocent, Amélie-les-Crayons et les revenants punk Parabellum complètent le panorama de ces FrancoFolies décloisonnées comptant quelque 200 spectacles, dont 150 aussi libres d'accès que très inégaux.
Si la gratuité est choyée, elle est permise grâce à une armada de partenaires financiers, publics mais surtout privés. Les sponsors, bien davantage qu'en Europe, sont omniprésents. Pas une scène extérieure qui ne soit ainsi baptisée d'un nom de marque. Mais les FrancoFolies ont aussi une vocation touristique capitale pour cette métropole qui semble survivre l'été au rythme d'un chassé-croisé de festivals de tout poil. Raison pour laquelle le gouvernement du Québec alloue un peu plus d'un million de dollars canadiens (environ 1 200 000 francs) à une manifestation dont le budget est sept fois supérieur. Pour des récompenses et émotions qui, elles, n'ont pas de prix aux yeux de spectateurs visiblement «francofous».