Il est curieux de constater que les incursions de plasticiens non coutumiers du travail de la terre dans le domaine de la céramique ont eu, et continueront d'avoir, un impact important sur la communauté des céramistes. Ainsi des expériences de Lucio Fontana à Albissola dans les années 1930, de Picasso à Vallauris après la Seconde Guerre ou des créations de Juan Mirò. Ainsi, sans doute, de l'activité d'artistes invités en Italie par l'association attese dans le cadre de la première Biennale de céramique dans l'art contemporain tels que Nicola Costantino, Nina Childress ou Ana Laura Alaez. Le Musée Ariana, musée suisse de la céramique et du verre, s'est associé à cette entreprise, qui a conduit vingt-cinq artistes à Albissola en Ligurie, où ils ont conçu des projets et parfois participé à la réalisation de pièces en céramique, inventives et originales.

Le musée genevois n'a pas repris dans son formulé le sous-titre thématique de la manifestation: «La face souriante de la globalisation». Ce sous-titre apporte pourtant des informations précieuses quant au choix de créateurs venus du monde entier, du Cameroun à la Corée, du Kosovo à l'Argentine, de la Suède à la Chine, et quant à l'orientation de leurs projets. Partant du principe que la globalisation, synonyme d'uniformisation culturelle, représente un danger, la Biennale d'Albissola «entend encourager la prolifération des anticorps nécessaires pour résister à une telle menace».

Le mot d'ordre a été bien compris, puisque les œuvres réalisées semblent toutes plus insolites, parfois provocantes, les unes que les autres. Des points communs ne tardent pas à se manifester, dans le parti pris du trompe-l'œil d'une part et de l'objet récupéré d'autre part, qui sont un peu les deux faces d'un même phénomène. On ne compte plus les assemblages plus ou moins hétéroclites de tessons de faïence, de fragments d'objets de terre cuite, émaillés ou platinés, qui ne laissent plus au visiteur la possibilité de distinguer le morceau authentique de sa reconstitution (élaboration du tandem italien Bertozzi & Dal Monte Casoni). Le fac-similé de casques de moto (Loris Cecchini), de cartes de crédit (Luca Pancrazzi) ou de perruques (Nina Childress) réalise une perversion des valeurs: l'objet protecteur se voit fragilisé, la douceur est figée, les fonds se révèlent inutilisables. Le semblant de plateau garni et servi aux invités par Jane Simpson et la traduction ou retraduction céramique d'un poème coréen, par Soo-kyung Lee, jouent eux aussi des qualités malléables de la terre, sujette à être moulée ou au contraire à trahir les gestes d'humeur.

Les citations, symptomatiques de l'ère postmoderne, sont présentes aussi, notamment des allusions aux expériences menées par Lucio Fontana à Albissola: Fontana a distordu le métier du céramiste, l'a forcé à exprimer les pulsions de l'homme et surtout de l'artiste contemporain. Lou-Laurin Lam, épouse du peintre afro-cubain Wifredo Lam, la seule à avoir vécu les années glorieuses d'Albissola et fréquenté Fontana, Asger Jorn ou Piero Manzoni, rend ici hommage à ce dernier, sur le décor d'assiettes: «Albissola était à l'époque un peu comme Montparnasse à Paris ou The Village à New York: une grenouillère d'artistes qui coassaient jour et nuit. C'était à la fois amusant, fatiguant, drôle, ennuyeux, enrichissant, cauchemardesque, comique, troublant, sérieux et fou.»

La bonne humeur est au rendez-vous, le sourire irrépressible devant le dos du lapin prosterné et aplati qu'a inventé Momoyo Torimitsu, laquelle se montre infidèle à la tradition céramique nippone, à la virginité de ses blancs, à sa rigueur formelle, à sa finesse de papier. La beauté aussi est au rendez-vous, plus discrète: c'est l'adéquation parfaite entre les teintes, rose et rouge foncé, et les formes des petites tables porteuses d'une coupe dans sa soucoupe, arrangement signé Ana Laura Alaez; c'est fleuve coudé, rempli de verre pilé, dû au Ghanéen El Anatsui; ce sont ces formes ovoïdes, percées de trous qui forment les trigrammes du Yi-king, signées Yuan Shun. C'est le choix de mettre en évidence le poli des surfaces, la fragilité du matériau et son poids réel, tout en pointant l'appartenance à une tradition culturelle et les choix politiques.

Céramiques d'artistes II.

Première Biennale de céramique dans l'art contemporain – Albissola. Musée Ariana (av. de la Paix 10, Genève, tél. 022/418 54 50). Me-lu 10-17h. Jusqu'au 2 septembre.