Alejandro Jodorowsky a quitté Tocopilla en 1953. Il a été mime, montreur de marionnettes, poète, romancier, cinéaste. Il a tourné des films culte (El Topo, La Montagne sacrée). Il a rêvé si fort d’une adaptation de Dune que nous en rêvons encore aujourd’hui. Il a scénarisé quelques bandes dessinées formidables, comme L’Incal, réalisé par Mœbius.
Se réconcilier avec la nuit
Après une éclipse de vingt-trois ans, Jodo revient au cinéma, son médium préféré, avec un film tourné en toute liberté, mais au budget serré. Composé de cadres fixes proches de la bande dessinée, formidablement baroque, La Danza de la Realidad se revendique du réalisme magique latino-américain et témoigne d’une imagination surréaliste qui n’est plus guère de mise dans le 7e art. Du grotesque au sublime, le cinéaste propose une parade monstrueuse baignant dans le lait de la tendresse humaine. Parfois, il perd le tempo, frôle la platitude, mais se rattrape avec des fulgurances inouïes. Alejandro jette une pierre dans la mer, soulevant son courroux: l’abysse vomit des sardines sur la grève, car «une seule pierre peut tuer tous les poissons de la mer». Tandis que les mouettes festoient, l’enfant est partagé entre la souffrance des poissons et l’euphorie des oiseaux. Jodorowsky, maître du tarot, connaît l’ambivalence des arcanes et les transmutations symboliques. Son autobiographie révisée vise à «éveiller le capital de transformation de vie qui se trouve en chacun de nous».
Jodo a inventé la psycho-magie, qui permet de guérir les problèmes psychologiques à travers des actes métaphoriques. La scène la plus puissante du film illustre cette thérapie: le petit Alejandro a peur du noir. Alors sa maman l’enduit de cirage de la tête aux pieds. Dans la nuit profonde, l’enfant et la mère, nus, jouent à cache-cache. A force de se frôler, ils finissent aussi noirs l’un que l’autre, réconciliés avec les ténèbres où ils se fondent…
VV La Danza de la realidad, d’Alejandro Jodorowsky (France / Chili / Mexique 2013), avec Jeremias Herskovits, Brontis Jodorowsky, Pamela Flores, Alejandro Jodorowsky. 2h12