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Alejandro Jodorowsky invite la réalité à danser

De retour au cinéma, le psycho-mage se souvient de son enfance chilienne dans «La Danza de la Realidad»

C’est à Tocopilla, dans le nord du Chili, qu’est né Alejandro Jodorowsky, il y a 84 ans (LT du 31.08.2013). C’est dans ce petit bled maudit (trois siècles sans pluie…) qu’il est retourné pour filmer La Danza de la Realidad, une «autobiographie imaginaire».

La vie n’est pas facile pour le jeune Alejandro, petit lord aux boucles blondes égaré sur les bords arides du Pacifique. Son père, portant l’uniforme et la moustache de Staline, a fui les pogroms de Russie pour se réfugier en Amérique latine. Il rudoie son fils pour en faire un homme. Sa mère tient la caisse du magasin. Diva jusqu’à la moelle des os, elle ne s’exprime que par arias. La grand-rue, la plage et les collines pelées grouillent de nains, de fous, de pompiers en tenue écarlate, de spectres et d’estropiés. L’enfant trace sa voie et finit réconcilié. Parfois, tel un ange venu du futur, Alejandro Jodorowsky vient le trouver…

Alejandro Jodorowsky a quitté Tocopilla en 1953. Il a été mime, montreur de marionnettes, poète, romancier, cinéaste. Il a tourné des films culte (El Topo, La Montagne sacrée). Il a rêvé si fort d’une adaptation de Dune que nous en rêvons encore aujourd’hui. Il a scénarisé quelques bandes dessinées formidables, comme L’Incal, réalisé par Mœbius.

Se réconcilier avec la nuit

Après une éclipse de vingt-trois ans, Jodo revient au cinéma, son médium préféré, avec un film tourné en toute liberté, mais au budget serré. Composé de cadres fixes proches de la bande dessinée, formidablement baroque, La Danza de la Realidad se revendique du réalisme magique latino-américain et témoigne d’une imagination surréaliste qui n’est plus guère de mise dans le 7e art. Du grotesque au sublime, le cinéaste propose une parade monstrueuse baignant dans le lait de la tendresse humaine. Parfois, il perd le tempo, frôle la platitude, mais se rattrape avec des fulgurances inouïes. Alejandro jette une pierre dans la mer, soulevant son courroux: l’abysse vomit des sardines sur la grève, car «une seule pierre peut tuer tous les poissons de la mer». Tandis que les mouettes festoient, l’enfant est partagé entre la souffrance des poissons et l’euphorie des oiseaux. Jodorowsky, maître du tarot, connaît l’ambivalence des arcanes et les transmutations symboliques. Son autobiographie révisée vise à «éveiller le capital de transformation de vie qui se trouve en chacun de nous».

Jodo a inventé la psycho-magie, qui permet de guérir les problèmes psychologiques à travers des actes métaphoriques. La scène la plus puissante du film illustre cette thérapie: le petit Alejandro a peur du noir. Alors sa maman l’enduit de cirage de la tête aux pieds. Dans la nuit profonde, l’enfant et la mère, nus, jouent à cache-cache. A force de se frôler, ils finissent aussi noirs l’un que l’autre, réconciliés avec les ténèbres où ils se fondent…

VV La Danza de la realidad, d’Alejandro Jodorowsky (France / Chili / Mexique 2013), avec Jeremias Herskovits, Brontis Jodorowsky, Pamela Flores, Alejandro Jodorowsky. 2h12