Grâce à la Maison de l’architecture, le débat sur l’inéluctable transformation du territoire genevois ne retombe pas. Sur son invitation, l’architecte Harry Gugger et ses étudiants de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne présentaient il y a un mois leurs plans et scénarios pour le canton.

Ce soir, l’architecte, urbaniste et paysagiste français Alexandre Chemetoff, 60 ans, prend le relais. Si la première intervention développait une vision et des stratégies, il livre, lui, sa méthode particulière, transdisciplinaire et ouverte au contexte. Et il l’illustre par une exposition de ses travaux, Droit de visite, et par un livre. En outre, trois «conversations» sont organisées avec des professionnels suisses et français, dont la première se déroule ce soir. Fait nouveau et significatif: pour la première fois, la Ville s’associe à l’initiative des architectes, manière de la renforcer et de lui donner plus d’ampleur.

Coïncidences avec Genève

«Il y a coïncidence entre mon approche et certaines expériences genevoises; par exemple, les recherches d’un Alain Léveillé pour l’Atlas du territoire genevois, le travail d’un Georges Descombes dans le parc qu’il a réalisé à Lancy, celui d’un Marcellin Barthassat pour ­la restauration des Bains des Pâquis», estime Alexandre Chemetoff. Régulièrement invité à en­seigner auprès de l’Institut d’architecture de l’Université de Genève jusqu’à la récente suppression de ce dernier, il a fait partie de ceux qui ont ensemencé les esprits et dont les idées viennent enrichir le débat sur l’avenir genevois.

En premier lieu celle-ci: tout projet de transformation, si radical soit-il, se situe par rapport à ce qui existe déjà, qui représente non pas une contrainte mais, au contraire, une ressource. D’où cette affirmation d’Alexandre Chemetoff: «La connaissance d’un endroit nécessite de le pratiquer, de l’expérimenter et de se donner l’espace du projet comme un temps de possibles découvertes.» Une conviction qui lui vient sans doute de sa formation première, l’horticulture et le paysage, lesquels imposent de considérer tout projet en situation, dans un contexte.

Mais, au jeune paysagiste, au­teur du Jardin de bambous dans le parc de La Villette, la réalisation de jardins ne suffit pas. «Lorsqu’on est convaincu que le territoire forme un tout, on ne peut pas se contenter de planter des arbres dans son coin.»

Devenu plus tard architecte, il se donne la liberté de passer d’un métier à l’autre, ainsi qu’à celui d’urbaniste, sans transitions inutiles. «En vérité, pour ce que nous faisons, transformer des espaces ou des villes, le mot générique c’est: architecture.» La spécificité de son Bureau des paysages et de ses agences, regroupés dans la société Alexandre Chemetoff & Associés, qui compte une quarantaine de collaborateurs, consiste précisément en cette «polyculture».

«Les projets urbains d’Alexandre Chemetoff s’inscrivent dans des villes vivantes, commente Christian Dupraz, de la Maison de l’architecture. En procédant par modifications lentes et précises, en leur conférant du sens, il parvient à des transformations étonnamment profondes qui restent cependant pertinentes du point de vue du contexte.» Ainsi, à Nancy, siège d’un grand nombre de ses grands projets, devenue un véritable laboratoire, l’architecte commence par des réalisations concrètes, passant continuellement du chantier à la carte, du témoin à l’ensemble et du détail au plan. «Comprenant comment faire chemin faisant.»

Carte-guide à la main

Même méthode sur le site abandonné de l’île de Nantes, auquel il s’agissait de rendre vie. Alexandre Chemetoff s’y promène en compagnie du maire, sans plan préalable dessiné dans ses bureaux mais carte-guide à la main. «Très vite, j’ai construit un premier bâtiment témoin, histoire d’ouvrir le jeu, de faire venir les projets, les initiatives. De susciter les réactions, le dialogue. Une façon d’aller à la fois vite et lentement.» Et de lancer la réflexion publique genevoise par cette remarque utile: «Quand un projet possède une valeur suffisante, il permet de reposer la question des règlements. Car il suscite alors des interrogations de fond et appelle des réponses autres que formelles. Or chaque situation contient sa part d’exception…»

«La connaissance d’un endroit nécessite de le pratiquer, de l’expérimenter, de se donner le temps»