Alt.+1000 redescend sur terre
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Le festival installé à Rossinière s’éloigne de la thématique montagnarde pour aborder les territoires. Extraits

Alt. +1000 redescend sur terre
Photographie Le festival installéà Rossinière s’éloigne de la thématique montagnarde pour aborder les territoires.Sélection
Respirer l’air de la montagne. Arpenter ses raidillons. Admirer ses courbes puis regarder des expositions qui suscitent des réflexions. Les adeptes du «corps sain dans un esprit sain» doivent apprécier Rossinière, un été sur deux au moins. C’est la fréquence à laquelle se déroule Alt. + 1000, festival de photographie contemporaine dont la quatrième édition vient de commencer.
La thématique retenue cette année est celle du territoire, notion un peu fourre-tout permettant d’aborder moult projets. Jusqu’alors, la manifestation était restée ancrée à ses montagnes, avec deux premiers opus franchement dédiés aux cimes et un troisième à l’altitude. En 2015, il faut chercher les sommets et c’est dommage. La confrontation entre un village de carte postale – chalets et granges magnifiques entourées d’alpages eux-mêmes parsemés de jolies ruminantes – et une vision plasticienne ou conceptuelle de ce genre de paysage était passionnante. On n’allait pas à Rossinière pour voir exposer ce que l’on avait déjà sous les yeux – surtout pas de vues bucoliques ou contemplatives, mais pour découvrir des regards, réflexions et mises en scène autour d’un sujet commun. Etrange mise en abîme. On y a observé des montagnes-cours de la bourse, des montagnes-oreillers ou des montagnes factices à force de quête d’authenticité pour des touristes en masse. Le thème, populaire, pouvait en outre amener un nouveau public à la photographie pointue.
«D’une part, nous avions envie d’élargir le champ. De l’autre, le réservoir de travaux intéressants sur la montagne commençait à diminuer, souligne Fanny Paschoud, membre du comité de direction. Ce sont souvent des citadins qui travaillent sur cette thématique et l’on retombe vite sur les mêmes approches.»
Le territoire, donc, avec une nouvelle directrice artistique. Béatrice Andrieux, ancienne collaboratrice de Paris Photo, remplace Nathalie Herschdorfer, nommée au Musée des beaux-arts du Locle. Onze projets sont présentés cette année, dont une exposition pour la première fois hors les murs – au château de Gruyères, le portugais Edgar Martins expose son travail sur les conséquences immobilières de la crise américaine des «subprime». Morceaux choisis.
En résidence à Rossinière en mai dernier, le plasticien français George Rousse a produit une œuvre étonnante. Dans une grange du village, deux gigantesques ovales sont peints sur la paroi, l’un noir et l’autre blanc, débordant sur le parquet irrégulier, sur les poutres et les tuiles du toit. Ils se chevauchent et leur zone de rencontre, hachurée, semble grise. C’est une sorte de yin et de yang en terre vaudoise. A quelques centaines de mètres, dans la tour de l’horloge qui servit autrefois de prison, une seule photographie. Celle de George Rousse, montrant deux cercles parfaits, qu’on dirait photoshopés sur les vieux murs. Magie de l’illusion d’optique. L’artiste a positionné son appareil dans un coin du grenier, puis il a tracé et peint les formes, aidé de ses assistants, de manière à ce qu’elles deviennent rondes à la prise de vue. Une marque sur le sol vous aidera à trouver l’endroit, et il faudra plier un peu les genoux pour atteindre la circularité.
Parmi les cinq talents émergents sélectionnés à l’issue du concours Alt. + 1000, Delphine Gatinois met en scène des créatures mi-humaines, mi-végétales ou animales. Au Mali, elle a habillé un garçon de plumes, de la tête aux genoux, lui plaçant un gigantesque lance-pierres dans les mains. Elle a recouvert une fillette de feuilles d’arbres et de pelotes de branchages, un homme d’enveloppes de maïs séchées. D’autres ont été fondus dans le décor. Tous questionnent le lien entre l’humain et son environnement, la notion d’identité. Quelques-uns rappellent les Wilder Mann de Charles Fréger.
Egalement nominé, Yvan Alvarez a choisi de travailler à Rossinière. Armé d’un détecteur de son, il a photographié les endroits où le bruit excède 70 décibels, soit le niveau d’une salle de classe bruyante selon un centre spécialisé. Ses clichés en noir et blanc pointent une école justement, un camion ou encore une terrasse. Ils montrent également des paysages semblant l’incarnation du calme, peut-être troublés par le passage d’un véhicule ou le cri d’un animal. A côté, des tracés abstraits marquent les pics sonores.
Dans un genre plus anecdotique, Mark Duffy présente des affiches électorales dont l’accrochage malmène les sujets. L’une a le cou tranché d’une attache de plastique, l’autre une vis entre les deux yeux. Amateurisme des fixeurs de placards, ou sabotage? La série était nominée pour le Luma Rencontres Dummy Book Award remis la semaine passée à Arles.
On pourrait évoquer encore les images de Klavdij Sluban dans la maison de Victor Hugo à Guernesey (trop peu nombreuses) ou les séries en tension des étudiants mexicains invités par le festival. La désalpe d’Alt. +1000 n’a pas (trop) entamé sa qualité.
Alt. + 1000 , jusqu’au 21 septembre à Rossinière. www.plus1000.ch
Yvan Alvareza photographiéles endroits du village où le bruit excède 70 décibels