Un trait dans l’espace, quelque quatre-vingts ans plus tard, mais sans plus aucun désir de représentation. Et qui plus est un trait mouvant, qui ne dépend plus du geste du créateur. Ce trait, c’est une bande magnétique qui flotte à mi-hauteur des murs, tout autour d’une des grandes salles du musée chaux-de-fonnier, au gré du souffle d’une série de gros ventilateurs posés au milieu de la pièce. Depuis qu’il a imaginé ce Flying Tape en 2004, le Lituanien Zilvinas Kempinas en soigne chaque nouvelle version selon le lieu, pour que toute sa simplicité magique puisse agir.
Dans la grande salle opposée, c’est le papier qui est roi. De longues bandes, du genre de celles qu’utilisent les photographes pour leurs fonds en atelier, architecturent l’espace. Elles tombent du plafond, s’entrelacent au sol dans une composition géométrique colorée. Whatsaguzzardo (2011-2012) de Laurent Kropf, réactualise pour le lieu Porntipsguzzardo, créé l’an dernier au Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne.
Trait ou papier, l’une et l’autre de ses œuvres n’ont plus grand-chose à voir avec un dessin qu’on encadre au mur, à un dessin qu’une main maîtrise. Tout au long de la visite, aucune œuvre ne se plie à de telles définitions. Ainsi, l’immense impression sur papier (quelque neuf mètres de long) que le Français Pierre Bismuth a baptisée En suivant la main droite d’Audrey Hepburn dans «How to Steal a Million», porte bien son nom. L’artiste français a bien placé pendant une séquence du film un stylo virtuel dans la main de l’actrice dont tant de femmes aimeraient avoir la grâce gestuelle… Il en résulte ce qui apparaîtra aux uns comme un gigantesque gribouillis et aux autres comme une sorte d’aura magnétique.
Un papier de viennoiserie ou de sandwich posé sur les dalles d’un trottoir. Mais quand l’œil se glisse dans le cornet, il découvre un petit arbre posé dans la lumière d’automne. Le Japonais Yuken Teruya l’a découpé dans le papier. L’artiste utilise parfois du papier toilette pour ses œuvres d’une finesse extrême. Sa poésie renverse tout, le trivial devient raffinement, le petit devient géant…
Les silhouettes effilochées de chevaux de laine et de goudron de Sandrine Pelletier qui galopent dans l’espace, les découpes de cartes routières de Sophie Bouvier Ausländer, les rosaces éphémères de feuilles de papier ménage posées sur la tranche de François Morellet, les parterres fleuris découpés dans des catalogues de jardinage d’Andrea Mastrovito… tout est surprise dans cette exposition où le trait et le papier jouent les amours libres.
Reliques et Vanités, une exposition de Catherine Corthésy, complète Trait papier. L’artiste de La Chaux-de-Fonds plie, froisse, coud, joue avec les papiers, les mots, les livres… On croirait entendre Régine en fond musical: «Laissez parler/Les p’tits papiers/A l’occasion/Papier chiffon/Puissent-ils un soir/Papier buvard/Vous consoler».
Trait papier, Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, jusqu’au 12 août. Ma-di 10-17h. www.cdf-mba.ne.ch
Des parterres fleuris sont découpés dans des catalogues de jardinage par Andrea Mastrovito