Tous les lundis matin, la rédaction du Temps se réunit pendant presque deux heures pour passer en revue les sujets qui vont s'imposer à moyen terme – ce que nous appelons notre «grand briefing». Justement. Je vous entends déjà. Nous pourrions parler de notre «grande réunion», de notre «réunion du lundi», voire de notre «réunion préparatoire», si vraiment nous voulions différencier ce moment de rencontre au cours duquel chacun lance ses idées, ses projets, ses envies. Mais non, nous parlons de «briefing».

La semaine dernière, nous y avons discuté du développement en Suisse du «conferencing». De saisissement, nous avons sollicité nos lecteurs: qu'en pensez-vous? «Conferencing» ne figure pas dans mon Chambers Twentieth Century Dictionary, qui compte pourtant plus de 1600 pages», a répondu un Montreusien, qui avoue préférer «stimuler» à «booster», «courriel» à «e-mail» ou encore «centre d'appel» à «call center». Comment lui en vouloir? Et c'est vrai, le «conferencing», l'écosystème généré par l'organisation de congrès et de conférences, n'est même pas un anglicisme, c'est un mot nouveau, inventé pour le XXIe siècle. Mais quand, ce lundi, deux collègues ont évoqué les avantages du «cross-posting» pour nos vidéos, nous nous sommes dit que l'opportunité était bien là – pardon, que l'occasion était belle de faire le point sur notre relation aux anglicismes, qui nous valent régulièrement des courriers de lecteurs courroucés.

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Signal d'alarme

«On n'a pas de code ultime concernant les anglicismes, reconnaît Florine Carron, responsable ad interim de notre équipe de correcteurs. Nous avons une charte typographique, et une systématique concernant l'orthographe pour les mots étrangers, ou ceux qui peuvent s'écrire de plusieurs façons (par exemple, clé et clef). Mais les anglicismes sont laissés à l'appréciation de chacun.»

Certains mots déclenchent instantanément le signal d'alarme – «digital» pour «numérique», «en charge de» pour «chargé de», «faire sens» pour «avoir du sens», «basé sur» au lieu de «fondé sur»... Pour d'autres mots, c'est au cas par cas. Souvent les sujets économiques ou technologiques sont en première ligne. Les CEO deviennent des directeurs généraux, le big data des mégadonnées...

Une chronique estivale: Les anglicismes donnent du «swag» à la langue française

Réflexes protectionnistes

Non. Le big data reste le big data. Parce que la langue journalistique doit être la plus claire possible, en n'oubliant pas les évolutions du français de la vraie vie, même si les réflexes protectionnistes l'ont longtemps emporté. «Les puristes ont fini par plier devant l'usage pratique», convient Olivier Perrin, chef d'édition et passionné par les questions linguistiques. Certains mots anglais sont difficilement traduisibles, qu'on songe au «storytelling», au «big bang». La presse est à la fois le gardien et le modernisateur de la langue. Autre contrainte, les mots courts donnent souvent plus de souplesse aux titres. Or l'anglais est presque toujours plus condensé. La «nouvelle adaptation» est probablement plus correcte que le «remake», à condition d'avoir la place.

Nos lecteurs sollicités ont aussi leur avis. «Epargnez-nous les anglicismes, en commençant par les fameuses «fake news», demande une Neuchâteloise. Il existe un terme en français pour cela: intox. On peut aussi utiliser des mots comme propagande, mensonges, rumeurs, calomnie ou mauvaise foi, selon la nature et l’origine exactes de ces fausses nouvelles. Les rares cas où l’usage d’un mot anglais se justifie, c’est quand il apporte un vrai plus. Par exemple le «buzz» (bourdonnement), pour sa valeur d’onomatopée. Pour les films et les séries, par contre, rien ne sert de dire «spoiler». Divulgâcher est beaucoup plus expressif.» Comme au Québec. Seriez-vous prêts à l'adopter?