Art contemporain
L’artiste, dont une œuvre a été vandalisée pour la deuxième fois à Versailles, est aussi exposé par les religieux du Couvent de la Tourette, chef-d’œuvre architectural de Le Corbusier
Parfois, le hasard des calendriers semble inouï. Sans doute les vandales qui, le week-end dernier, ont tagué des propos antisémites sur une œuvre d’Anish Kapoor posée dans les jardins du château de Versailles ignoraient-ils que, quelques jours plus tard, l’artiste britannique vernissait une exposition, à voir jusqu’au 3 janvier, dans le couvent dominicain de la Tourette, près de Lyon.
Anish Kapoor est d’origine juive irakienne par sa mère, hindoue par son père. «Vous êtes à votre place dans ce couvent», a simplement dit à l’artiste le frère Marc Chauveau, commissaire de l’événement, mercredi lors de sa présentation à la presse. Les journalistes étaient venus nombreux à l’affut des réactions de l’artiste et des prises de position des religieux. «Bien sûr que nous trouvons ces écrits insoutenables. Nous sommes blessés. Mais notre réponse, c’est avant tout le choix que nous avons fait de vivre avec les œuvres d’Anish Kapoor. Plus qu’une exposition, c’est un échange. Les œuvres viennent habiter quelques temps à La Tourette et leur parcours sera marqué par ce passage.»
L’événement fait partie de la Biennale de Lyon, ouverte dès ce jeudi, mais s’inscrit dans une pratique régulière dans ce lieu de prières et d’études conçu par Le Corbusier et inauguré en 1960. D’un lieu classé à l’autre, du château de Versailles au couvent de la Tourette, il existe une continuité évidente mais encore plus d’oppositions. Au faste royal répond la sobriété conventuelle.
Un rapport à l’art qui tient d’une tradition dominicaine
Dans l’architecture de béton de Le Corbusier, une douzaine de frères vivent et accueillent des résidents – quinze étudiants en architecture ces derniers jours. Depuis 2009, Marc Chauveau y organise des expositions d’art contemporain. C’est aussi un historien d’art, qui enseigne à l’Université catholique de Lyon. Il rappelle que ce rapport à l’art est une tradition dominicaine. Et d’évoquer la figure tutélaire du père Marie-Daniel Couturier (1897-1954), qui avait invité Le Corbusier à concevoir ce bâtiment pour « loger cent corps et cent cœurs dans le silence» et qui a beaucoup fait pour réconcilier son Eglise avec l’art de son temps. Lui-même peintre, il avait, avec le père Pie-Raymond Régamey, défendu dans la revue «L’Art sacré», avant-guerre déjà, la nécessité pour l’Eglise de travailler avec les meilleurs artistes du moment, quelque soit leur religion et leur foi. Il a aussi été à l’origine de remarquables commandes d’artistes, pour les chapelles du plateau d’Assy, de Vence ou d’Audincourt.
Marc Chauveau choisit les artistes selon ses affinités, convainc ses coreligionnaires. Il se souvient qu’en 2009, en visitant la première exposition, consacrée à François Morellet, Thierry Raspail, directeur du Musée d’art contemporain et de la Biennale de Lyon, lui avait demandé s’il y avait un artiste qu’il rêvait secrètement d’inviter. «J’ai répondu Anish Kapoor et il a dit, ah oui, en effet, c’est un rêve.» Aujourd’hui, l’inscription de l’exposition dans la Biennale lui donne un rententissement encore amplifié par le scandale versaillais. Pourtant, ici, il n’est question que de quiétude et d’élévation spirituelle. Ainsi, cette haute fléche d’inox (Spire, 2007) où se réflètent les quelques lignes de couleurs posées par Le Corbusier dans la chapelle de béton est une figure de l’élévation pour Marc Chaveau. Elle pointe d’ailleurs vers un puit de lumière. Mais Anish Kapoor dit craindre qu’elle ne soit déjà de trop dans la pure rudesse des lieux. Avec lesquels il se sent pourtant des affinités. «Le Corbusier a pensé ce couvent dans les mêmes années qu’il construisait Chandigarh», souligne-t-il.
C’était la deuxiuème agression contre la même oeuvre
L’épine d’inox fait partie des œuvres en miroir de l’artiste, telles qu’on en retrouve quelques-unes dans les couloirs ou le réfectoire du couvent, et qui semblent mettre en mouvement l’architecture. Mais Marc Chaveau a aussi sélectionné des oeuvres en cire ou en silicone, matières tourmentées proches de la viande. «Celles-ci s’inscrivent dans une histoire de l’art qui remonte au moins au «Bœuf écorché» de Rembrandt», note l’historien d’art pour qui, par leur contraste avec les oeuvres plus lisses, elles évoquent aussi clairement l’aspiration au spirituel des êtres de chairs que nous sommes tous.
Dans cet environnement, Anish Kapoor aura peut-être aussi pu prendre un peu de recul avec les événements versaillais. Après cette deuxième agression contre la même oeuvre – des jets de peinture jaune avaient été nettoyés en juin – l’artiste avait très vite souhaité que les insultes devaient être laissées, son oeuvre étant dépassée par ce qui lui arrivait. A La Tourette, il estimait devoir encore réfléchir avant de prendre une décision définitive. Entretemps, mardi, François Hollande l’avait reçu et évoqué des raisons pédagogiques pour garder les traces. De son côté, un élu versaillais, Fabien Bouglé, du groupe d’opposition municipale Versailles Familles Avenir, a lui, porté plainte contre l’artiste pour incitation à la haine raciale. «A l’ouverture de l’exposition, j’ai parlé de Dirty Corner au féminin. C’était un tort. C’est de l’art abstrait. J’ai attiré sur l’œuvre certaines lectures. Tout cela est aussi lié à une certaine idée que la France a d’elle-même.»