Si ça se trouve, sa Dernière Gorgée de bière, livre désormais testament au titre fabuleux d’ironie même pas amère, tout juste arrivé de l’imprimerie, sera dans les librairies le jour de son enterrement. Ariane Ferrier devait faire une belle séance de dédicace le 15 décembre. Mais la maladie, un sale cancer de l’estomac déclaré il y a moins d’un an, ne lui en a pas laissé le temps. La dernière phrase qu’elle nous laisse est celle-ci: «Maintenant, il faut vivre.»

C’est tout Ariane Ferrier, née à Genève en 1958, la même année que Sharon Stone, ce qui lui plaisait bien: espérer, se battre jusqu’au bout, et nous laisser avec mot d’ordre d’une tendresse extrême – maintenant, avec ou sans moi, la vie continue.

«Oui, pour toujours»

Ariane, c’était un regard, des yeux à faire fondre la banquise plus vite que le réchauffement climatique, à te faire avoir envie de dire oui, pour toujours. Ariane, c’était une voix, un timbre velouté et gouailleur tout en même temps, une voix qu’on ne pouvait pas ne pas écouter.

Ariane, c’était un style, en robe décolletée comme en santiags et en veston d’homme, une allure folle, à la fois classieuse et sexy, un truc que peu de femmes possèdent à ce point. Pas bégueule pour un sou, elle plaisait aux hommes, qu’elle adorait en retour, mais aimait s’entourer de femmes, qu’elles trouvaient «moins prévisibles» que les mâles.

Ariane, c’était une tronche, un caractère, un engagement sans faille pour ce qui la fâchait très fort, l’injustice, la violence faites aux femmes, et elle revendiquait haut et fort son appartenance à la Marche des salopes.

Le journalisme, «métier de foutraque»

Ariane, c’était une carrière. Le journalisme, d’abord, «métier de foutraque, métier de gens improbables», comme elle disait, tombée dedans faute d’autre vocation après un bac philo à Paris. La Suisse, 24 heures, Le Matin, la Tribune de Genève, la TSR, La Liberté: elle a porté haut l’art de la chronique, celle qui hume la société, fait corps avec la vie, saisit l’air du temps avec humour et piquant pour une longue et belle conversation avec ses lecteurs adorés et qui le lui rendaient bien. Trois recueils de chroniques permettront de s’en souvenir aussi longtemps que possible.

Elle habitera aussi le petit écran dans nos salons en présentant l’émission Box Office de 1997 à 2001. On la voit exceller sur la scène dans la Revue de Genève. On la retrouve sur la chaîne TV BeCurious, où elle présente, couchée en nuisette dans un grand lit, une émission de joyeux bavardage intitulée La vie, la mort, la coiffure. Grâce à ces activités, et d’autres, grâce à son esprit, son talent, son charisme, Ariane aura été l’une de ces personnalités qui marquent un pays, une époque, une génération, qui la font avancer aussi, lui permettent d’être plus intelligente.

Ariane, c’était une famille, un réseau, des amis, des amies beaucoup, des sœurs d’âme, des filles, des amants, des maris, des ex, des chats, des fidélités à toute épreuve, à l’image des préfaciers de ses deux derniers livres, Mélanie Chappuis pour cette Dernière Gorgée de bière ou Alexandre Jardin pour Fragile, qui disait cette chose si vraie: «Ariane Ferrier a l’intelligence d’être fragile.» Ariane, c’était un état d’esprit, enfin. La vie l’inspirait. Soyons tous des Ariane Ferrier.