La statue du président Wade est le fruit d’une longue lignée d’oeuvres liées à l’exercice du pouvoir. L’historien Laurent Gervereau commente ces images où le politique questionne le culturel.

Statue de l’ancien leader nord-coréen Kim Il-sung, Pyongyang. (AFP) Commentaire de Laurent Gervereau: «Il faut prendre les totalitarismes en bloc. De Mussolini à Staline, en passant par les figures ubuesques d’Afrique ou d’Asie, il s’agit toujours d’un culte de la personnalité qui s’associe à un fonctionnement paranoïaque du pouvoir. C’est l’illusion d’éternité, l’angoisse de la disparition physique, qui sont inscrits dans le bronze. L’ambition pour les dictateurs est de légitimer leur règne par une présence hypertrophiée dans l’espace public.»
Statue équestre de Louis XIV, Versailles (Paul Almasy/Corbis) «Louis XIV concentre le mieux le pouvoir centralisateur dans les bâtiments publics. Aujourd’hui encore, des potentats chinois se font construire de petits Versailles. Il fascine parce qu’il est aussi, avec Louis de Bavière, un modèle du Roi-Poète ou du Roi-Artiste, utilisant l’art pour asseoir son omnipotence. A sa façon, c’est ce que fait Wade lorsqu’il signe lui-même la statue de la Renaissance.»
Le Colosse de Rhodes, affiche du film de Sergio Leone, 1961 (LDD) Statue en bronze de plus de 30 m, représentant le dieu Hélios. Elle s’écroule à cause d’un tremblement de terre. «Le Colosse est devenu une sorte de prototype de la statue prométhéenne qui dit autant l’affirmation que la fragilité du pouvoir. La destruction des symboles de la puissance annonce le déclin politique.»
Destruction de la statue de Saddam Hussein, suite à l’intervention de l’armée américaine, Bagdad, 2003.(Keystone) Laurent Gervereau:«Il ne suffit pas de mettre à bas un régime autoritaire, il faut en éradiquer les symboles. Cette image est particulièrement forte parce qu’elle reprend le motif iconoclaste ancien mais sous une forme médiatique contemporaine. Il est prouvé que les Américains ont rémunéré des casseurs pour que cette mise à bas vienne confirmer de la manière la moins contestable la chute du régime de Saddam Hussein dans les médias occidentaux.»
Bouddhas de Bamiyan après leur destruction par les talibans en 2001, Afghanistan. (EPA) «L’iconoclasme est aujourd’hui considéré par le monde occidental comme la transgression obscurantiste par excellence. Nous sommes entrés dans une ère de la «tout-conservation», de la muséification du monde. L’Unesco sanctifie tout par son usage extensif du label de Patrimoine de l’humanité. Les talibans l’ont compris, qui se sont attaqués au tabou occidental suprême.»
Statue de Ramsès II, Memphis, Egypte.(AFP) «A partir du néolithique, le passage des sociétés nomades animistes aux sociétés sédentaires accumulatrices crée un ordre social pyramidal. Les rois-prêtres ont à cœur de laisser des traces matérielles. Le pharaon est un exemple évident du lien indéfectible entre le pouvoir temporel et spirituel. Avec la Révolution française, le nouvel ordre républicain ne renoncera pas aux statues. Elles incarneront le pouvoir dans l’espace public et serviront à la propagande du nouvel idéal. Les artistes composent entre cet impératif de célébration et leur désir d’expression.»