Quand Ai Weiwei fait plier Lego
bad buzz
Après des mois de pression, l'artiste chinois a poussé Lego à changer sa politique de livraison de briques en gros. Encore un cas où les réseaux sociaux font céder les grandes compagnies; entre autres, Barilla a dû plier

Tout commence en septembre, quand Lego refuse de vendre des briques par milliers au musée national du Victoria de Melbourne, en Australie, qui prépare une grande exposition Warhol-Weiwei pour la fin de l'année. Surprise: «Lego ne soutient pas les projets politiques», argumente la compagnie danoise, dont la Chine est un marché en forte expansion. Ai Weiwei a pourtant déjà réalisé des oeuvres consacrées à la contestation politique en Lego, pas plus tard qu'en 2014, à Alcatraz aux Etats-Unis. Le remuant plasticien accuse le coup.
Mais son sang ne fait qu'un tour quand, en octobre, il apprend qu'un nouveau parc Legoland doit bientôt ouvrir à Shangaï, dans lequel Lego a une participation financière. Immédiatement il accuse la société de censure, et se tourne vers les réseaux sociaux, sur lesquels il est extrêmement actif (son compte Twitter en chinois compte 300 000 abonnés, et il a publié 65 000 tweets sur son compte anglais). Il raconte ce qui lui arrive, et appelle à l'aide. Pratique, l'artiste fait installer des points de collecte un peu partout dans le monde, des voitures au toit légèrement entrouvert, et invente le crowdfunding en briques.
[RT] [AT]mesohippus: [AT]aiww your car [AT]msterdam nice project!!! pic.twitter.com/irnKgkoZbl
— Ai WeiWei (english) (@aiww_en) January 9, 2016
Le succès est immédiat, et quelques jours plus tard, Weiwei hilare annonce avoir récolté assez de briques pour son projet, une sculpture consacrée à l'art dissident – la sculpture actuellement présentée a finalement été érigée avec de fausses briques, pour des raisons logistiques.
On ne brave pas impunément le roi de la contestation, bretteur impitoyable, emprisonné 81 jours en 2011 mais qui l'été dernier a enfin récupéré son passeport.
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Soumis à une tornade de buzz négatif sur les réseaux, sa réputation étant mise en cause, Lego fait finalement amende honorable: «Notre politique pouvait paraître contradictoire et prêter à l'incompréhension» regrette platement cette semaine la firme, qui ne demandera donc plus aux acquéreurs de grandes quantités de justifier de leur utilisation, ils devront simplement en cas de projets publics mentionner de façon explicite que Lego «ne les soutient pas et ne les approuve pas». Un virage à 180 degrés amplement salué sur les réseaux, à commencer par Ai Weiwei lui-même qui parle de «victoire pour la liberté d'expression» et pose avec son fils:
nice move #freedomofexpression https://t.co/uhAGYPnaP2
— 艾未未 Ai Weiwei (@aiww) January 12, 2016
... https://t.co/EXnr39Zgil pic.twitter.com/DD8uFysDES
— Ai WeiWei (english) (@aiww_en) January 13, 2016
Lego n'est pas la première compagnie à devoir reconnaître sa défaite en rase campagne après une campagne de «bad buzz». Les grandes organisations non gouvernementales sont souvent devenues de puissants harceleurs sur le web, et le bilan de Greenpeace par exemple est très flatteur, qui a engrangé des succès auprès de Mattel (abandon des emballages issus de la déforestation), de Lego (abandon des personnages estampillés «Shell») ou encore de Nestlé (abandon des producteurs d'huile de palme ne respectant une charte de qualité). Mais les réseaux savent aussi s'auto-organiser pour protester efficacement.
Barilla
La plus grande compagnie de pâtes du monde a dû affronter en 2013 une grosse crise provoquée par des propos jugés homophobes de son patron: «Pour nous, le concept de famille est sacré et demeure l'une des valeurs fondamentales de l'entreprise. Nous ne ferions jamais une publicité avec une famille homosexuelle [...]. Si les gays aiment nos pâtes et nos publicités, ils en mangeront. Sinon, qu'ils mangent d'autres pâtes. On ne peut pas toujours plaire à tout le monde» avait déclaré l'empereur du spaghetti. Avant de présenter ses excuses, quelques jours plus tard:
Mi scuso molto per aver urtato la sensibilità di tanti. Ho il più profondo #rispetto per tutte le #persone senza distinzioni. Guido #Barilla
— Barilla (@Barilla) September 26, 2013
Abercombrie & Fitch
La société américaine avait déclenché des tombereaux d'insultes sur le Net quand en 2013 étaient ressortis des propos de 2006 de son patron admettant que ses vêtements branchés n'étaient conçus que pour les «cool kids» entendez, les ados minces, pas les gros. Quelques campagnes YouTube plus tard, il avait dû présenter ses excuses.
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Zara
La marque avait mis en vente en 2014 une marinière pour enfants, rayée avec une étoile qui se voulait inspirée de celle des shérifs américains. Les internautes ont vite eu la peau du vêtement, qui ressemblait terriblement aux tenues des déportés.
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Ces trois cas sont exemplaires d'auto-organisation de web social réactif, ces campagnes ont été spontanées.
Rien d'étonnant que la communication de crise et la gestion de l'e-réputation soient actuellement des secteurs en plein boom dans les agences de relations publiques...
Ai Weiwei est actuellement à Paris où il exposera des cerfs-volants au Bon-Marché à partir du 16 janvier. «Er Xi, Air de jeux»