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«Amazônia»: Sebastião Salgado face aux gardiens de la biodiversité

Ode à la beauté de l’Amazonie, la plus grande forêt tropicale du monde, l’exposition «Amazônia» du photographe brésilien est un aussi un vibrant hommage aux peuples indigènes qui y vivent. A voir dans l’écrin du Palais des Papes à Avignon

Archipel fluvial de Mariuá, Rio Negro, Etat d'Amazonas. Brésil, 2019. — © Sebastião Salgado
Archipel fluvial de Mariuá, Rio Negro, Etat d'Amazonas. Brésil, 2019. — © Sebastião Salgado

Leurs visages sont peints de dessins délicats, presque abstraits, réalisés à l’aide d’extraits naturels. Ils portent d’élégantes tuniques en coton appelées «kushma», qu’ils tissent eux-mêmes; les hommes arborent également une bande de tissu qui ressemble à une cravate et des chapeaux de paille ronds couronnés de plumes. Lointains descendants des Incas, les Ashaninka forment une communauté de plus de 100 000 personnes. Trois mille d’entre eux vivent au Brésil, dans l’Etat d’Acre, le reste en grande majorité au Pérou, où ils se sont réfugiés sur les hauts plateaux sous la pression des envahisseurs espagnols. A la fin du XIXe siècle, ils ont dû faire face à l’arrivée sur leur territoire de dizaines de milliers d’extracteurs de caoutchouc, suivis par des forestiers puis des éleveurs de bétail.

«Ils ont obtenu en 1992 du gouvernement la reconnaissance de leur territoire traditionnel et se concentrent maintenant sur la reforestation, l’élevage de poissons, la culture de plantes médicales et le développement de leur artisanat traditionnel», explique Sebastião Salgado, regard franc et bleu abrité sous des sourcils broussailleux. Bruissement des grands arbres, masse sombre et touffue des sous-bois, fracas des eaux des cascades qui dégringolent des sommets, puissance majestueuse des hautes montagnes et tumulte des flots de l’Amazonie zigzaguant sous de lourds nuages blancs et gris: après avoir traversé un labyrinthe d'images noir et blanc spectaculaires, nous retrouvons le photographe assis à une table à l’extrémité de la Grande Chapelle du Palais des Papes. Pressé de nous faire découvrir l’exposition qui réunit quelque 200 photographies, celui-ci nous devance aussi sec entre les panneaux. «Vous avez vu ces femmes et ces hommes! Quelle santé! Quelle vitalité! Quelle fierté et dignité», susurre-t-il en s’arrêtant devant un diaporama faisant défiler une centaine de portraits d’Indiens rencontrés ces dix dernières années au fil de ses reportages.

18% de la forêt a disparu

L’Amazonie s’étend sur neuf pays. Plus de 60% de cette forêt tropicale se trouve au Brésil. Aujourd’hui, 18% de celle-ci a disparu. Conscient de la menace qui pèse sur cet immense poumon vert du fait de l’exploitation forestière illicite, de l’orpaillage, des constructions de barrages, de l’élevage de bétail et de la culture du soja qui le grignotent peu à peu, le photographe brésilien a entrepris en 2013 de mettre en lumière par son travail la force et la beauté de ces territoires. La dernière frontière, selon lui, et le plus grand laboratoire naturel du monde: il abrite un dixième de toutes les espèces animales et végétales.

Indienne Yawanawá, Etat d’Acre. Brésil, 2016. — © Sebastião Salgado
Indienne Yawanawá, Etat d’Acre. Brésil, 2016. — © Sebastião Salgado

Tout en contribuant à révéler au public les communautés indigènes qui y vivent et sont les véritables gardiennes de ces terres, il brosse de touchants portraits de ces femmes et de ces hommes, aux visage et corps souvent peints, saisis dans un studio planté au milieu des arbres, ou pris lors de grandes fêtes et célébrations, à la chasse, ou à l’occasion de parties de pêche.

Grande interview de Sebastião Salgado: «On ne peut pas bâtir notre avenir si on perd notre passé»

«Il y a très peu de feux ou d’actes de déforestation sur ces terres indiennes. Sans aide extérieure, la majorité des groupes indigènes a maintenu en parfait état ces réserves naturelles,» lance Salgado en pénétrant dans un espace de l’exposition qui évoque une maison indigène, une immense maloca collective Yanomami construite en forme d’anneaux avec une cour centrale réservée aux fêtes et rituels. Les Yanomami sont 28 000 au Brésil. Ils vivent à l’extrême nord du pays, dans des chaînes de montagnes et des vallées. Coiffe de plumes, arc et flèches en main, le chaman et lanceur d’alerte Davi Kopenawa, l’un des leaders indigènes les plus renommés au Brésil, se bat depuis trente-cinq ans pour la protection de la Terre-Mère où il vit, contre l’orpaillage illégal et pour la création du territoire Yanomami. Il a remporté en décembre 2019 à Stockholm le Right Livelihood Award, connu sous le nom de Prix Nobel alternatif.

En l’an 1500, l’Amazonie brésilienne était peuplée de près de 5 millions d’Indiens, contre 370 000 aujourd’hui. Ils se répartissent en 188 groupes dont 114 n’ont jamais été contactés. «Rien ne m’a apporté plus de joie que de travailler avec ces communautés autochtones. A travers elles, j’ai renoué avec ma propre préhistoire, j’ai découvert nos vies, celles que nous vivions il y a des milliers d’années», poursuit le Brésilien.

Yawanawa, Zo’és et Suruwahas

C’est la Fondation nationale de l’Indien (Funai), chargée d’identifier, d’assister et de protéger les peuples indigènes brésiliens, qui lui a délivré les autorisations qui lui ont permis de rencontrer ces groupes. Accompagné d’un guide de montagne expérimenté, d’anthropologues, d’un cuisinier, de deux piroguiers et de spécialistes de la forêt, les capitaines de brousse, et, le plus souvent, de sa femme, Lélia Deluiz Wanick Salgado, il a rendu visite à une dizaine de ces communautés dont les Yawanawa.

Indiens Marubo, vallée de Javari, EEtat d’Amazonas. Brésil, 1998. — © Sebastião Salgado
Indiens Marubo, vallée de Javari, EEtat d’Amazonas. Brésil, 1998. — © Sebastião Salgado

Chassé de ses terres et décimé par l’alcool, ce peuple, qui était en voie d’extinction dans les années 1960, compte aujourd’hui plus de 1200 personnes rassemblées sur 200 000 hectares reconnus et protégés par la Constitution du Brésil. Ou les Zo’é, répartis dans six villages entre les deux grands affluents de la partie nord de l’Amazone, qui portent le m’bertpot, un bâtonnet en bois inséré dans la lèvre inférieure. Ou encore les Suruwahas, 154 personnes qui vivent dans les profondeurs de l’Etat d’Amazonas, le long de la rivière Purus.

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«Ils n’ont pas de dirigeants et ne se soumettent pas à un commandement. Les décisions d’intérêt commun sont prises la nuit après les repas, au cours de conversations ouvertes», souligne Salgado en évoquant ce peuple isolé du reste du monde jusqu’au début des années 1980. «Nous formons une partie de la nature. Nous devons la protéger pour nous protéger nous-mêmes. Nos vies urbaines font de nous les aliens – les étrangers – de notre planète; il nous faut retourner à la nature.»


«Sebastião Salgado – Amazônia», Palais des Papes, Avignon, jusqu’au 30 novembre.


Reboiser pour faire renaître la vie

Le rapprochement des deux images est saisissant. La première, prise à la fin des années 1990, montre Bulcao, la propriété familiale des Salgado située dans une cuvette dans l’Etat du Minas Gerais, entourée de collines élimées, plantées deçà, delà de très rares bosquets d’arbres isolés. La seconde, vingt ans après, dévoile cette même propriété entourée d’une dense forêt qui recouvre toutes les collines. Depuis 1998, les Salgado, épaulés par des milliers de paysans, ont planté 2,7 millions d’arbres et produit plus de 6 millions de jeunes plants d’espèces natives. Résultat? Les animaux (oiseaux, mammifères, reptiles et amphibiens) sont revenus et le reboisement a contribué au retour de nombreux cours d’eaux et sources qui étaient en train de se tarir.

Cette même année, le photographe et sa femme Lélia Deluiz Wanick Salgado ont fondé l’Instituto Terra qui a pour mission la reforestation, l’éducation environnementale, la recherche scientifique et le développement durable. Un de leurs projets, Olhos d’Agua, vise à restaurer et protéger plus de 300 000 sources d’eau de la vallée du Rio Doce, très affectée par le processus de déforestation dans ce précieux biome de la forêt atlantique dont il ne reste que 12,4% du boisement d’origine.


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