En 2017, les visiteurs d’Artgenève étaient accueillis au sommet des escalators de Palexpo par un squelette humain géant flottant dans les airs. C’est un chat qui veille cette année sur le salon d’art contemporain, un immense Felix the Cat gonflable de 9 mètres de haut, œuvre molle de l’artiste anglais Mark Leckey, prêté par la collection Syz. «Il est rarement exposé debout», explique Thomas Hug, directeur de la foire ouverte au public dès aujourd’hui.

«Sculptures monumentales»

Il faut dire que le gigantisme de la Halle 2 de Palexpo permet ce genre d’extravagance. Comme elle autorise le curateur Samuel Gross à consacrer 2000 mètres carrés pour reproduire un jardin de sculptures de Max Bill, avec chemin balisé et feuilles mortes pour faire plus vrai. Six pièces de l’artiste, designer, architecte et homme politique zurichois sont exposées ici, «dans un espace tellement immense que presque aucun musée ne pourrait présenter ainsi ces œuvres», observe le commissaire d’exposition genevois. Surtout qu’entre le marbre et l’acier, l’ensemble de ces objets géométriques géants réclame aussi d’avoir de solides arguments pour se laisser installer.

«L’année dernière, j’avais fait venir les projections lumineuses d’Anthony McCall. Cette fois, j’avais envie de montrer des sculptures monumentales. Il se trouve aussi qu’à une période de notre histoire, Max Bill a incarné la sculpture suisse. Et que les œuvres que l’on voit ici vont bientôt rejoindre un parc dédié à son travail au Tessin», reprend Samuel Gross, qui signe également Alpine Dream, accrochage de toiles monochromes sur fond de panorama montagnard de 36 mètres de long pris par le photographe Jean Revillard.

Il y a en Suisse un vivier de collectionneurs tout à fait étonnant

La Suisse, son ambiance et ses artistes ont toujours été le credo d’Artgenève. Ils sont aussi celui du PAD, Pavillon des arts et du design, fondé en 1996 à Paris et qui s’associe pour la première fois au salon genevois. François Epin, directeur artistique de la 18 Davies Street Gallery de Londres, expose par exemple un bar-cave à cigares en forme de luge. Une pièce Art déco rigolote et rarissime de Paul Dupré-Lafon, grand décorateur parisien des années 40, vendue au prix fort: 430 000 euros. «On l’a associée avec des fauteuils de Hans Wegner pour conserver l’esprit chalet. Pour nous, c’est intéressant de venir ici. Le PAD qui s’adosse à une foire déjà stable ne peut donner que de bons résultats.»

Jacques Lacoste, lui, vient à Genève pour se faire de nouveaux contacts «et de nouveaux amis. Il y a en Suisse un vivier de collectionneurs tout à fait étonnant», observe ce marchand parisien expert dans le mobilier français des années 50, notamment celui de Jean Royère, dont il expose un splendide buffet. Mais aussi un ensemble canapé-fauteuil du designer milanais Gio Ponti. «Ce n’est pas forcément notre spécialité mais, pour cette foire, nous avons cherché à ouvrir notre éventail le plus largement possible.» Comptez quand même 100 000 euros pour ramener ce chef-d’œuvre d’élégance édité à l’époque par Cassina.

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Vidéo diffusée en boucle

Mais passons à la foire d’art et à ses 80 exposants. A peu près tous les acteurs du quartier des Bains, là où se concentrent les principales galeries d’art contemporain de Genève, répondent présent, comme à chaque édition. Ribordy Contemporary présente une étonnante nomenclature peinte par Mathis Gasser de tous les vaisseaux possibles de science-fiction. Skopia laisse Francis Baudevin revisiter avec une ironie sympathique les icônes de la peinture abstraite de Mondrian à Olivier Mosset.

Pour le vraiment foutraque, rendez-vous chez le Parisien Laurent Godin, qui diffuse en boucle une vidéo de l’Argentine Mika Rottenberg où des types affublés d’énormes pifs éternuent des lapins tout chou, tout mignons. On ne sait pas trop à quoi ça rime, mais c’est hilarant. A la galerie Truth and Consequences, on soigne aussi son sens du burlesque, vu que le galeriste Paul-Aymar Mourge d’Algue bosse sur une table en céramique hérissée de phallus de BD, modelés par la Californienne Liz Craft.

Nous sommes un petit pays, avec des scènes artistiques très variées et très intéressantes, mais qui souvent s’ignorent

Quelques stands plus loin, la Zurichoise Maria Bernheim expose une sorte de tipi aux couleurs de confiserie italienne montée en neige par le Lausannois Denis Savary. «C’est la deuxième fois que je viens à Artgenève, explique la galeriste, qui consacre son espace de la foire à un accrochage de jeunes artistes helvétiques. Nous sommes un petit pays, avec des scènes artistiques très variées et très intéressantes, mais qui souvent s’ignorent. Je cherche à les réunifier, à faire en sorte qu’un dialogue s’installe à travers les œuvres. Une foire est un endroit fabuleux pour faire passer le message.» C’est aussi le meilleur moyen pour les institutions de se faire connaître d’un public plus large, qui découvrira les éditions de la Whitechapel Gallery de Londres, les travaux des finalistes des New Heads de la Haute Ecole d’art et de design de Genève et les dessins de Jérôme Baccaglio, artiste en résidence au Centre d’art contemporain de Genève.

Alors oui, on pourrait trouver à cette 7e édition d’Artgenève un petit air d’Art Basel. Tant il est vrai qu’elle a encore gagné en qualité et que de plus en plus de noms qui comptent sur le marché tentent le voyage de Palexpo. C’est le cas de Perrotin, de 1900-2000 ou encore de la Pace Gallery.

Pace, justement. Au vernissage d’Artgenève, mercredi soir, on a beaucoup parlé de cette galerie fondée à Boston en 1960. Pas seulement parce que le marchand américain appartient aux nouveaux exposants du salon, mais parce qu’il vient d’annoncer l’ouverture de son antenne genevoise le 20 mars. Où? Dans l’immeuble du quai des Bergues qui abrite désormais la banque privée Syz, dont la propriétaire a décoré ses nouveaux locaux avec les œuvres de sa fabuleuse collection. Genève devient ainsi la neuvième destination mondiale – et la deuxième en Europe après Londres – de cette galerie catégorie poids lourd qui compte David Hockney, Chuck Close ou encore Kiki Smith dans son écurie.

«La Suisse est un pays splendide où se trouvent parmi les plus importants musées et collections privées d’art au monde, explique Valentina Volchkova, directrice de Pace Genève. Et puis, la situation géographique de Genève nous permet aussi de servir très efficacement nos collectionneurs dispersés partout en Europe.» Surtout, après l’arrivée de Gagosian en 2015, elle redonne un coup de boost au marché de l’art dans une ville où l’élan des galeries semble bien reparti.


Artgenève, jusqu’au dimanche 4 février, Palexpo, www.artgeneve.ch