Un jour, une idée
Une petite exposition met en lumière le travail de deux photographes de Haute-Savoie qui, au début du XXe siècle, a immortalisé les habitants de leur région, entre lac et Salève

Le père porte le képi du postier, sa femme une robe de dentelle; elle tient la main des enfants pour les tenir immobiles mais le chien a bougé et son museau est flou. Un siècle plus tard, on découvre cette scène suspendue, cette tribu immortalisée devant leur maison de Haute-Savoie par Gédéon Regard. Un patronyme parfait pour ce photographe originaire de Feigères, près de Saint-Julien, qui a capturé dès la fin du XIXe sa campagne et ceux qui y vivaient – le «Grand Genève» quand il ne portait pas encore ce nom. Des figures du passé qui dévisagent les visiteurs de Regards croisés, petite exposition au premier étage de la Bibliothèque de Genève.
On découvre une trentaine de photos, de paysans comme de notables de province, commandées à ce «peintre-photographe» itinérant, contemporain méconnu de Boissonnas. Jusqu’à sa mort de la grippe en 1918, à 47 ans, Gédéon Regard parcourut sans relâche sa région (d’Archamps à Cernex, de Samoëns au Salève), plaques de verre sous le bras. De ce travail, il reste un fonds de 4000 négatifs, 8000 photos et quelque 15 000 visages… inconnus: les légendes manuscrites se sont perdues. «Je me suis demandé que faire de ces portraits d’anonymes dont on ne savait rien, raconte Eloi Contesse, commissaire et conservateur du Centre d’iconographie de la BGE. Mais il y a un plaisir de la découverte, de la rencontre avec ces gens du passé sur lesquels on peut projeter beaucoup de sens, d’émotions.»
Mariée et artisan
Deux enfants dans leurs habits de communiants; un artisan, la main bandée et tuméfiée; un homme de loi; une mariée au bras d’un soldat; une vieille dame avec en médaillon le portrait d’un homme – son époux mort depuis longtemps? Pour des questions de lumière, tous posent dehors. L’air sérieux car «le sourire sur les photos n’apparaîtra qu’au début du XXe siècle», précise Eloi Contesse. Les instantanés d’une ruralité qui se fait rare dans les archives, et d’une époque pas si lointaine dont on devine les rapports de classe et de genre.
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Regards croisés? Parce que l’exposition, en partenariat avec l’association savoyarde Paysalp, fait dialoguer l’œuvre de Regard avec celle d’un autre Savoyard qui lui succédera, Adrien Bonnefoy (1886-1977). Au mur de la première salle, quelques clichés de ce médecin et photographe amateur révèlent des instants de vie légers, contrastant avec le cadre formel de Regard. Si on reconnaît ici et là les membres de la famille Bonnefoy, les clients du premier restent mystérieux. «A terme, le but est de mettre ce fond en ligne», glisse Eloi Contesse. Avec l’espoir que certains aïeux soient reconnus.
«Regards croisés», Bibliothèque de Genève (premier étage). Jusqu’au 3 juin. Lu-ve: de 9h à 18h, sa de 9h à 12h. Visite guidée le 11 février à 10h30. Entrée gratuite. Retrouvez tous les articles de la rubrique «Un jour, une idée».