La visite aura duré cinq minutes. «J’ai cru qu’on verrait de beaux paysages d’Islande, c’est tellement magnifique. Des gens, qu’ils nous montrent», s’insurgent deux grands-mères en découvrant les premiers tirages de l’exposition Coping with distance, au Photoforum Pasquart. Évidemment, l’Islande est un produit d’appel, un nom qui convoque aussitôt des images, fantasmées ou non: glaciers bordant la mer, geysers éructant, grands espaces masqués par les brumes. Rien de tout cela à Bienne. Ou à peine. Ni une réflexion sur ce que signifie la notion de distance lorsque l’on habite une île aussi peu peuplée, contrairement à ce que laissait supposer la présentation – et le titre – de l’événement.

Coping with distance est le nom d’une projection proposée par Einar Falur Ingólfsson. En 1897, l’Anglais W.G. Collingwood a peint les joyaux islandais sous forme d’aquarelles. 110 ans plus tard, Ingolfsson a photographié les lieux, restés inchangés ou au contraire transformés par l’homme. Il a également saisi des endroits et des personnages tirés de ses souvenirs d’enfant. Si les deux démarches sont passionnantes, l’absence de légendes et de commentaires prive le spectateur de la plus grande partie de leur intérêt. Restent de beaux paysages – les grands-mères ont-elles eu le temps de les apprécier? – et des portraits qui racontent l’Islande contemporaine.

Dans un projet également comparatif, Olaf Otto Becker a photographié les mêmes sites à dix ans d’intervalle. On peut s’amuser au jeu des sept erreurs. Sur un quai de pêche, le filet est toujours roulé dans le même coin, mais la couleur et la forme de ses bouées ne sont plus les mêmes. La peinture du bâtiment s’est écaillée. Des armoires métalliques ont été ajoutées sur le mur. Etc. Plus loin, un glacier a salement maigri. Une maison est toujours en chantier, mais trois palettes ont disparu et un panier de basket a été accroché. Puis il y a ce tirage immense et très impressionnant du barrage de Kárahnjúkar. Au premier plan, le béton posé par l’homme est une balafre dans le paysage, au second, un mur se confond avec la falaise. Artificiel vs naturel.

Dans le même registre, Ingvar Högni Ragnarsson, s’est penché sur des paysages perforés par des vestiges humains; une amorce de maison en bord de mer ou un filet de football abandonné sur une pelouse. Un peu comme les paquets de cigarettes froissés sur les trottoirs, mais à une autre échelle. Il a également photographié durant un an la palissade entourant un chantier désaffecté de Reykjavik. Helas, l’exposition en montre si peu d’images que le concept perd largement de son attrait.

Les trois autres séries sont moins intéressantes. Pétur Thomsen, nominé au Prix Découverte des Rencontres d’Arles en 2012 pour son travail sur les paysages malmenés de son île, s’est intéressé aux radioamateurs. Des vieux derrière un écran, semblant confinés dans un espace minuscule et envahi de vieilleries, les derniers représentants d’une activité qui fut un jour à la pointe de la modernité. Mathilda Olmi créé une romance fiction à partir des portraits d’une fille et d’un garçon, de quelques paysages et de gros plans sur des objets. Claudia Hausfeld, enfin, introduit des bugs visuels dans les paysages islandais: le reflet d’une montagne dans un lac n’est pas le bon, des chevaux sont massés dans un cratère de volcan, des cailloux fondent… Les grands-mères qui rêvaient de cartes postales sont parties depuis longtemps.

Caroline Stevan

Coping with distance, jusqu’au 22 novembre au Photoforum Pasquart, à Bienne. www.photoforumpasquart.ch