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Les Journées photographiques ouvrent ce week-end, avec près de 30 expositions et de nouveaux lieux. Les incontournables du «Temps»

Il y a des mots qui résonnent mieux en anglais. Pour sa première édition à la tête des Journées photographiques de Bienne, Sarah Girard a choisi comme titre Flood plutôt qu’Inondation ou Flot. Un mot qui coule pour une thématique large. «J’ai souhaité interroger la place de l’image dans le flux quotidien de l’information. Au milieu de tout cela, la photographie reste-t-elle visible ou devient-elle invisible? Et quel espace est-il laissé à l’individu?»
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Quelque 27 expositions ont été programmées pour apporter des réponses. Une grande partie semble n’entretenir aucun lien avec le flood, mais ce n’est finalement pas très important; le public est là pour voir de la photographie et s’il oublie l’intitulé, il y trouvera son compte. De nouveaux lieux ont été investis, à commencer par la rue et cette Residenz Au Lac, où des travaux très contemporains dialoguent avec des déambulateurs et des publicités pour un fabricant d’implants dentaires.
Entre vieille ville et Centre Pasquart, Le Temps a retenu cinq expositions.
David Gagnebin-de Bons: «While Dreamimg» (Photoforum Pasquart)
Le bleu est-il la couleur du rêve? Depuis 2011, David Gagnebin-de Bons traduit les rêves en cyanotypes, un procédé ancien qui joue avec le fer pour produire des tirages d’un magnifique bleu de Prusse. A partir de ses souvenirs et de ceux des autres, le Romand fabrique des images à la fois vaporeuses et évocatrices. Une nuée de papillons, une silhouette, un chapiteau, des lettres… Des univers sans légendes, qui entrent forcément en résonance avec les nuits du spectateur. Des photographies rangées dans une grande boîte, que l’on peut ouvrir ou refermer comme après un mauvais rêve.
Emmanuel Tussore: «Home» (Photoforum Pasquart)
Durant des décennies, le mot Alep éveillait les sens de ceux qui l’entendaient. Ils voyaient aussitôt le bloc de savon brun, sentaient son parfum venu du fond des âges. Depuis 2012, ils songent d’abord à des photographies d’enfants blessés, ils entendent résonner les tirs. Emmanuel Tussore tisse un nouveau lien entre ces deux histoires. L’artiste français sculpte les savons d’Alep en forme de ruines, puis les photographie. Sur un mur entier du Photoforum Pasquart se dessine ainsi un inventaire du drame syrien, d’une maison détruite à une autre. Métaphore aussi d’une économie mise à genoux par la guerre.
Maxime Genoud: «Camera(s)» (NMB)
Une boîte avec un trou. C’est le principe du sténopé, l’appareil photographique le plus simple qui soit. Invité à animer un atelier dans une école primaire de Bienne, Maxime Genoud a proposé aux élèves de fabriquer leurs appareils à coups de boîtes de conserve et de briques de lait. Sur un mur du NMB, le Nouveau Musée Bienne, leurs réalisations sont photographiées devant des fonds très colorés. En face et en noir et blanc, les images qu’ils ont captées avec leur sténopé, forcément imprécises. Portrait de classe, cour d’école ou vestiaire, tout apparaît flou et bizarrement cadré, une vision onirique du monde, à hauteur d’enfant. «Il était important pour moi de les faire travailler sur une technique imparfaite, qui produit des erreurs, dans un monde où on leur demande de tout réussir», souligne le photographe suisse.
Un atelier similaire est proposé ce dimanche au public (lire l’encadré).
Magnum Photos: «Women with binoculars» (rue Basse)
L’histoire a commencé parce qu’Enrique Muñoz Garcia a photographié au Chili une dame sur un transat, les yeux plantés dans une paire de jumelles. Fasciné par l’absence d’un regard qui regarde ailleurs, le collectionneur a cherché des images similaires. En dix ans, il a glané près d’un millier de «femmes aux jumelles». Cette récolte lui a donné envie d’aller fouiller dans les archives de l’agence de photoreporters la plus célèbre du monde: Magnum Photos. Il en a trouvé… 35, dont 8 sont exposées rue Basse, de 7 auteurs. Les modèles viennent d’Istanbul, du Zimbabwe ou du Texas; elles scrutent le ciel, une course de chevaux ou des migrants. Les images sont signées Alex Webb, Peter van Agtmael ou Martin Parr.
Le fonds Magnum Photos est si fourni – 700 000 images – que la recherche a priori la plus farfelue donnerait sans doute des résultats. C’est ce qui fascine dans ce projet. En regard, les étudiants de l’Ecole d’arts visuels de Bienne ont travaillé sur la thématique et le public est invité à poser avec des jumelles ou à imaginer ce qu’observent les dames.
Esther Hovers: «False Positives» (Le Grenier)
Dans le quartier d’affaires de Bruxelles, les caméras de surveillance sont programmées pour détecter huit comportements suspects, définis par des experts en sécurité. Esther Hovers reproduit ces gestes potentiellement louches dans des scènes de rue. Toutes ont l’air parfaitement normales. Cela signifie-t-il que l’on devrait s’inquiéter en permanence ou plutôt que l’on vit dans une société totalement paranoïaque? Des croquis reproduisant les agissements problématiques accompagnent les tirages; rester statique, courir, synchroniser ses mouvements, regarder en arrière…
Journées photographiques de Bienne, jusqu’au 2 juin 2019. Bielerfototage.ch
Autour des expositions
Performances, concerts, ateliers ou discussions accompagnent les travaux photographiques exposés durant les trois semaines du festival.
A retenir:
Concert de piano. Léo Tardin, seul pianiste suisse à avoir remporté le Montreux Jazz Festival International Solo Piano Competition, donnera un concert inspiré des photographies exposées dans un EMS. Il apportera une troisième voix au dialogue déjà riche entre une résidence pour personnes âgées et les séries très contemporaines et esthétiques de Lisette Appeldorn et Vanja Bucan.
Samedi 11 mai à 17h, Residenz Au Lac.
Atelier sténopé. Maxime Genoud vous apprendra à fabriquer un sténopé, appareil photographique rudimentaire, à l’aide de boîtes de conserve ou de Tetra Pak.
Dimanche 12 mai de 14h à 16h, NMB.
Table ronde. Pour la première fois, les résultats des enquêtes photographiques romandes, à savoir celles des cantons du Valais, de Vaud, Fribourg, Neuchâtel et Genève, sont présentés en un même lieu, sous forme de livres et de diaporamas. Une discussion se penchera sur les enjeux de tels travaux documentaires. Avec notamment les photographes Christian Lutz et Virginie Rebetez, l’historienne de la photographie Raphaële Bertho.
Samedi 18 mai de 14h à 17h, DISPO Halle.