Dans un pâturage en légère pente, près d’une centaine d’images de fleurs aux formats divers. Ce Jardin enchanté est une spectaculaire installation proposée dans la vallée de la Brévine par le festival Alt. + 1000, biennale photographique qui se tient pour la deuxième fois dans les Montagnes neuchâteloises après quatre premières éditions organisées à Rossinière, au cœur du Pays-d’Enhaut. Après quelques minutes de marche, cette juxtaposition d’une nature bien réelle et vue à travers la subjectivité de photographes proposant une ou plusieurs images, est immédiatement séduisante. Derrière chaque œuvre, un cartel explicatif permet de passer de la forme au fond.

Directrice d’Alt.+1000 et du Musée des beaux-arts du Locle (MBAL), Nathalie Herschdorfer parle de concurrence avec le paysage: «On est d’abord attiré par le pâturage, les sapins, le ciel, notre regard se promène. Alors que dans un musée, on fait abstraction du cadre, du monde environnant.» Mais c’est bien le propre des expositions en plein air que de permettre une lecture différente, un autre questionnement, de rajouter du sens en quelque sorte. Lorsque dans le cadre de son projet Vivants Matthieu Gafsou montre une image du jardin botanique de Xiamen, en Chine, celle-ci a quelque chose d’étrange… Car le Vaudois a pris soin d’appliquer sur le tirage une couche de pétrole brut; une façon d’évoquer la crise climatique en pointant de manière évidente la pollution due à l’activité humaine.

L’ère de l’anthropocène

Forcément, Matthieu Gafsou n’est pas le seul à utiliser la fleur et le jardin, ce motif qui a traversé toute l’histoire de l’art, pour parler d’écologie et exacerber un sentiment de paradis perdu. A travers sa série Floating View, réalisée à Saïgon et dont on découvre une image dans ce Jardin enchanté qui ne l’est finalement pas tant que ça, Cynthia Mai Ammann stigmatise en sous-texte l’urbanisation rapide des mégapoles, et son impact direct sur l’environnement naturel. Plus globalement, Alexandra Baumgartner interroge avec la série How Like A Leaf I Am la responsabilité humaine dans le déclin des écosystèmes. Mais à travers le cliché Muhab’s Hands, il fait le pari de l’espoir. On y voit une paume de main contenant quelques petites graines, comme une promesse: en protégeant les semences, on pourra favoriser un retour à la biodiversité.

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Si l’anthropocène est bien l’un des thèmes importants qui parcourent l’installation, de nombreuses images célèbrent heureusement une nature belle et résiliente. Il y a par exemple Lucas Olivet et ses luxuriants sorbiers canadiens, de petits arbustes qui résistent parfaitement à l’atmosphère sulfureuse de Prince George, la ville qui compte le plus grand nombre de scieries de la Colombie-Britannique. Ou ces magnifiques orchidées polynésiennes dont Namsa Leuba célèbre la sensualité. «Ces fleurs symbolisent la féminité, la création et sont considérées comme le reflet de l’âme des rae rae et des mahu, qualifiant respectivement les personnes transgenres et non binaires», apprend-on.

L’impermanence des choses

En photographiant l’impressionnant arrangement de fleurs séchées qui orne la vitrine de Guerlain sur les Champs-Elysées, Patrick Weidmann montre, quant à lui, à la fois l’impermanence des choses et ce que la nature a de plus pur à nous offrir, à savoir des essences, des parfums enivrants. Le caractère éphémère de la fleur traverse de nombreuses autres images, et c’est finalement une célébration de la vie qu’on y voit.

L’intérêt de cette exposition collective, qui regroupe une cinquantaine d’artistes suisses ou ayant un lien avec la Suisse, vient bien de la multiplicité des regards. Comme le souligne Nathalie Herschdorfer, on découvre l’art photographique dans sa définition la plus large: collages, montages, réappropriations d’images préexistantes, détournements ludiques, photos prises in situ et travaux réalisés en studio ou retravaillés via les techniques numériques, à l’instar des Fusion pâquerettes de Manon Wertenbroek, entre pop art et papiers découpés. Pour peu qu’on prenne le temps de dépasser «l’effet waouh» qui prévaut en découvrant le Jardin enchanté, il y a là quelque chose de plaisamment vertigineux.


«Le Jardin enchanté», prairie Chobert, vallée de La Brévine, dans le cadre du festival Alt. + 1000, jusqu’au 20 septembre.

A voir aussi: «Montagne Magique Mystique – Trésors des collections suisses de photographie», Musée des beaux-arts du Locle, jusqu’au 26 septembre.