A La Chaux-de-Fonds, Nina Childress en son royaume pop
exposition
AbonnéDans l’exposition «Cils poils cheveux», les coupes des chanteurs de variété sont d’amusants prétextes pour questionner autant la représentation du corps dans la peinture que la manière dont nous façonnons nos corps comme des éléments de représentation

Comme dans les musées de cire, on s’amuse à reconnaître au fil de l’exposition Patrick Juvet, Sylvie Vartan et autres stars du rock, de la chanson et du cinéma. Mais Nina Childress – à prononcer à la française – nous incite aussi à approfondir quelque peu. Avec David Lemaire, directeur du Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, l’artiste franco-américaine a choisi des toiles où la pilosité des personnages est essentielle.
Ils n’ont pas manqué de choix puisque la production est généreuse et que, numérotée, cataloguée en 2021 sous le titre Nina Childress 1081 peintures (Beaux-arts de Paris Editions), elle est marquée par des préoccupations capillaires. Il reste que la majorité des œuvres montrées ont été réalisées depuis la parution.
L’artiste date ses premières œuvres du début des années 1980. Elle avait alors adopté la punk attitude, crête décolorée comprise, peignait sous le nom de Nina Kuss et chantait-hurlait dans les éphémères Lucrate Milk. Depuis, elle s’est approprié un large éventail de genres picturaux, se jouant des classifications et, héritage punk oblige, déjouant les notions de beau et de laid, avec une continuité où l’humour l’emporte largement sur le trash.
Patrick Juvet en tête d’affiche
Si Nina Childress est essentiellement une peintre figurative et colorée, elle flirte de temps à autre avec l’abstraction ou s’offre les sensations de la grisaille, cette technique en camaïeu de gris héritée notamment des peintres de vitraux. L’accrochage témoigne très bien de cette diversité d’approches, montrant parfois plusieurs interprétations picturales d’une même image, comme cette peinture du groupe féminin The Runaways reprise dans une version où les silhouettes longilignes d’un rock glam ne sont plus que triangles de couleur.
Si Nina Childress peint surtout des portraits et des scènes, procédant d’après photographies, elle a aussi produit des séries de boîtes Tupperware, des savons ou encore des caramels, pastilles et autres bonbons, devenus monumentaux dans l’exercice pictural. Mais de tels objets sont bien sûr absents de l’exposition de La Chaux-de-Fonds puisque glabres.
Hommage: Patrick Juvet a quitté les paillettes pour les étoiles
Ici, Patrick Juvet, décédé le 1er avril 2021, fait figure de tête d’affiche. Au sens premier du terme puisque le portrait titré 1089-Patrick à poils (2021) a été choisi pour la communication de l’exposition. Outre l’aura de la chevelure qui donnait son identité visuelle au chanteur, ce qui frappe dans ce tableau orangé, ce sont les poils plus foncés qui soulignent la silhouette nue, de profil. Ils sont peints, mais, sur d’autres toiles, des cheveux de la mère ou du compagnon de Nina Childress – c’est elle qui les leur coupe – fournissent de la matière aux cils ou aux torses velus des personnages.
Ambiance des soirées disco
Un peu de peinture phosphorescente éclaire le regard de Patrick Juvet, tourné vers nous. Nina Childress utilise aussi cette technique de manière plus radicale. Dans l’exposition, deux toiles sont plongées dans la pénombre. Il faut braquer sur elles les lampes de poche mises à disposition, puis les éteindre pour retrouver, baignées d’une lumière jaune, l’ambiance des soirées disco, coupes de cheveux comprises bien sûr.
A voir aussi: Isamu Noguchi, un sculpteur en quête d’énergie à découvrir à Berne
La photographie utilisée pour Patrick à poils a aussi donné lieu à une sculpture en métal blanc, patiné au bas des reins jusqu’à l’effet miroir. Sylvie Vartan, également très représentée en peinture, a aussi son buste, en bronze. Nina Childress a été marquée par la manière dont la chanteuse cachait avec ses cheveux les cicatrices laissées par le pare-brise qu’elle a traversé, en 1970, lors d’un accident de voiture. Kate Bush, Karen Cheryl, Sharon Stone, Paul Verhoeven… c’est un univers entre variété, rock et cinéma qui se dessine au fil des salles, plus dans l’image qu’il donnait que dans ses coulisses.
Observation décalée et décomplexée
Nos coupes de cheveux reflètent les époques que nous traversons et nos histoires, nos personnalités. En confrontant ses toiles à celles d’autres peintres, Nina Childress attire notre attention sur la façon dont la manière de peindre les chevelures représente aussi une sorte de signature d’artiste. Parmi les artistes choisis, essentiellement suisses, Stéphane Zaech (un portrait resté de l’exposition précédente du musée), Caroline Tschumi (qui expose jusqu’au printemps au château de Chillon), Jean-Frédéric Schnyder (deux tableaux de son chien Drichti), Jean-Luc Blanc (d’après une peinture sur visage du Genevois Serge Diakonoff), ou encore Franz Gertsch.
Lire également: Franz Gertsch et l’hyperréalisme
La thématique capillaire s’est imposée en février dernier lors du festival chaux-de-fonnier Mille fois le temps. Sous le titre Peintures & coiffures, Fabienne Radi a lu, avec le comédien Thierry Paret, compagnon de la peintre, des extraits de l’Autobiographie de Nina Childress qu’elle signe, éditée en duo avec le catalogue des œuvres. Le texte mêle la voix, essentielle, de l’artiste, celle d’un personnage de fiction, «vérificateur» ou fact-checker qui surtout contextualise, et celle de Fabienne Radi qui accompagne (préambule, appendice et postface).
Ces voix mêlées «comme on tresse des mèches de cheveux pour en faire une natte» sont le fruit d’une connivence entre ces deux adeptes de certaines formes d’observation décalées et décomplexées qui se sont rencontrées au Mamco en 2009. Nina Childress y rendait hommage à Simone de Beauvoir et à la cantatrice Marjorie Lawrence (la première exposition majeure de l’artiste).
De La Chaux-de-Fonds, il faut repartir avec le journal Cils poils cheveux (extensions), signé Fabienne Radi. Il fait office de catalogue sans aucunement adopter les codes du genre. On y apprend qu’en février, l’écrivaine aurait aimé lire devant un petit Van Gogh du musée intitulé La Fillette aux cheveux ébouriffés.
«Ses sourcils en broussaille et sa chevelure hirsute le font davantage ressembler à un jeune hippie des années 1970. Son air effronté voire provocant, lui, évoque les punks des années 1980.» C’était un peu compliqué, alors Nina Childress a tout simplement fait une copie du tableau – et de son cadre. La voir est un bon prétexte – s’il en fallait – pour visiter l’exposition permanente, que David Lemaire a pris l’habitude de revisiter à l’aune de la temporaire.
«Nina Childress – Cils poils cheveux», Musée des beaux-arts de La Chaux-de-Fonds, jusqu’au 23 avril 2023.