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Cherchez la «Dadame», elle est partout

Hommage aux femmes oubliées du dadaïsme, au Manoir de la Ville de Martigny

Elodie Pong, «Moustache», 2013, photographie. L’artiste zurichoise s’est inspirée de la vie et de l’œuvre d’Elsa von Freytag-Loringhoven. — © DR
Elodie Pong, «Moustache», 2013, photographie. L’artiste zurichoise s’est inspirée de la vie et de l’œuvre d’Elsa von Freytag-Loringhoven. — © DR

Le soleil brille, les guerres sévissent, l’art est postmoderne et Dada, qui était mort, est revenu, ou revenue: ce sont ses femmes que l’on redécouvre aujourd’hui. Elles étaient 60, nous apprennent les recherches minutieuses menées par Ina Boesch (qui en donne la liste complète), historienne et journaliste, à l’origine du projet d’une «exposition du centenaire» focalisée sur les femmes du dadaïsme. Cinq ont été retenues pour l’exposition baptisée La Dada, Die Dada, She Dada, et y dialoguent avec autant de plasticiennes actuelles. Déjà présentée à Aarau et Appenzell, la manifestation s’accompagne d’un «Journal de l’exposition» qui en reprend le propos, sous la forme d’un abécédaire aux rubriques joliment détaillées, et captivantes.

De A comme Judith Albert, qui a choisi de rendre un hommage original à Hannah Höch, dadaïste berlinoise experte en collage et en photomontage, à Z comme Zürich, où Dada est né le 5 février 1916, «quelques jours avant la bataille de Verdun», ce petit fascicule accomplit le prodige de nous faire faire le tour du monde de ce courant artistique, et historique. Apparu durant la Première Guerre mondiale en réaction contre la guerre, les nationalismes et les chantres du bon sens, Dada a essaimé à New York, Berlin, Cologne et Paris. Aussi inventif, insolite, irrationnel et fantaisiste qu’il se soit montré, cet «enfant de son temps» n’a pas donné à ses membres féminins la part qui aurait dû leur revenir – une part nettement plus importante que l’histoire ne l’a retenu. La faute à certains de ses membres masculins, on s’en doutait un peu.

De la vidéo à la danse

Comme mieux vaut tard que jamais, l’entreprise des commissaires d’exposition – à Martigny, Anne Jean-Richard Largey – est à saluer: on s’associe en effet avec plaisir et intérêt à la fascination des plasticiennes, outre Judith Albert, Elodie Pong, Anne-Julie Raccoursier, Chantal Romani et Anka Schmid, à l’égard de leurs consœurs d’hier. Très inspirées par les travaux de leur modèle respectif, elles ont chacune réalisé des installations vidéo qui valent davantage comme des appropriations et des réponses que comme de simples citations ou des variations sur un même thème. La plus connue sans doute parmi ces «dadames», notamment parce qu’elle a poursuivi une carrière prolifique au-delà du dadaïsme, au-delà même du surréalisme et de l’art abstrait, sur les chemins de traverse, Sophie Taeuber-Arp est approchée par Anka Schmid sous l’angle de la danse.

Cathédrale suggestive

Avec la collaboration d’une chanteuse, d’une danseuse, d’une costumière et d’une marionnettiste, Sophie danse malgré tout se révèle un magnifique spectacle, qui joue sur les effets d’éclairage, les costumes et la nature hybride des danses, et un hommage au «cran» et à l’incroyable imagination de Sophie Taeuber-Arp. Elodie Pong pour sa part ouvre une porte sur l’univers de celle qui «a anticipé le mouvement queer et celui de la performance féministe», la baronne Elsa von Freytag-Loringhoven, figure originale de la scène new-yorkaise qui, en compagnie de Morton Schamberg, donné avec God une manière de ready-made, et dont on découvre un Cathédrale aussi suggestive que minimale. Anne-Julie Raccoursier n’a pas choisi la facilité en s’intéressant à l’œuvre de Céline Arnaud, poétesse expérimentale plus que plasticienne qui, avec sa revue Projecteur, s’est moquée de tout et de tout le monde, y compris d’elle-même.

Magie de la vidéo, qui permet enfin à Chantal Romani de revisiter, de ranimer et de sublimer le travail subtil d’Angelika Hoerle; morte à 24 ans, cette artiste a notamment imaginé un abécédaire inachevé (la lettre F comme Fisch stylise la silhouette d’un poisson), dont le Journal de l’exposition a repris le principe. Entre la Beauté («Dada est beau comme la nuit qui berce un jeune jour», écrivait Jean Arp), le Rire et peut-être les Larmes liées à cette époque tragique, La Dada titille en tout cas l’intellect et la curiosité, et l’envie de faire ou de refaire. Pourquoi pas?

La Dada Die Dada She Dada. Manoir de la Ville de Martigny (place du Manoir 1, tél. 027/721 22 30). Ma-di 14-18h. Jusqu’au 10 janvier.