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Les élans artistiques de la satire

Le Centre Paul Klee réunit cinq artistes. Tous, à l’instar de Klee, ont pratiqué l’ironie et la satire

Gravure à l’eau-forte (10,9 x 12,5 cm). — © L’humour a triomphé de la douleur
Gravure à l’eau-forte (10,9 x 12,5 cm). — © L’humour a triomphé de la douleur

L’exposition dédiée à la satire, au grotesque et à l’ironie, au Centre Paul Klee de Berne, illustre une attitude plus qu’un thème ou un style. Elle réunit autour de Paul Klee, auquel est réservée la part du lion, des travaux d’un illustre prédécesseur, Honoré Daumier, d’un aîné, James Ensor, et de deux collègues et amis, Alfred Kubin et Lyonel Feininger. Les cinq peintres ont pratiqué la caricature et le dessin humoristique dès leur plus jeune âge, et surtout au cours de ces années d’apprentissage et de mise à l’épreuve, période de la vie où la drôlerie des situations saute aux yeux et où on se targue, non sans cruauté, de stigmatiser les tares de ce monde. Dans le cas de nos artistes, de Klee notamment, la virtuosité était au rendez-vous, à la pointe du crayon ou de la plume…

Sur les quelque 200 pièces exposées, beaucoup en effet sont des dessins, croquis, esquisses, aquarelles, le tout témoignant d’une grande rapidité d’exécution, même dans le cas de compositions travaillées avec finesse. Des gravures, des peintures et des sculptures – têtes de Daumier, personnages (et marionnettes) de Klee, figurines et maisonnettes de Feininger – enrichissent la présentation, si foisonnante qu’il s’agit de réserver du temps et de l’attention à cette visite parmi les méandres de l’humour. Un humour tantôt penché vers le bizarre, le grotesque, surtout chez Ensor et Kubin, tantôt dirigé vers la critique sociale et politique, et vers l’ironie en général, et tantôt, comme chez Feininger, empreint de rêve et de ludisme.

Le visiteur est frappé par l’espèce de hiatus qui réside entre la force de la charge, souvent, on l’a vu, cruelle, parfois méchante, le poids de ce «grotesque» qui apparaît dans le titre, et la qualité sensible et extrêmement raffinée du dessin de chacun, qualité qui à elle seule, d’ailleurs, révèle des artistes hors pair. Outre les secteurs dédiés au travail de chaque artiste, fonctionnaires et célébrités d’Honoré Daumier (1808-1879), masques, cortèges et autres figures de comédie de James Ensor (1860-1949), scènes satiriques et mélancoliques d’Alfred Kubin (1877-1959) et bandes dessinées d’une drôlerie pleine de charme de Lyonel Feininger (1871-1956), les œuvres sont réparties selon quelques thèmes et motifs.

Par exemple le rapport entre les sexes, pour ne pas dire la guerre des sexes, où la femme, vieille, étique, semble plus une harpie qu’une égérie. Ou l’image de Dieu, c’est-à-dire la bigoterie, mais aussi une approche détournée, et plus profonde qu’il n’y paraît, du divin et du sentiment religieux en général. Ou le désastre des guerres, et la comédie animale – quand l’animal, ou autre créature de fantaisie, est investi de types et caractères humains, de manière à refléter nos tics, nos défauts (l’avidité, la fierté, la vanité, les aberrations propres à certains codes sociaux) et nos côtés touchants (l’attachement de la «femelle» à ses petits, mis en scène par Paul Klee). Enfin, de nombreux tableaux et dessins représentent des têtes, en tant que panneau d’affichage des traits et des types les plus comiques et expressifs.

La tête se prête en effet le mieux à la caricature, avec son nez que l’on peut accentuer, sa bouche élastique, et toutes les émotions que peuvent refléter ses yeux. De Daumier à Paul Klee, lequel, pour sa part, n’a jamais été tenté par le portrait ressemblant et réaliste, les artistes de tendance satirique n’ont pas hésité à modeler cette matière selon leurs visées critiques et parfois bouffonnes. Ainsi Klee a-t-il interprété la figure de Persée, homme barbu, héros tout en poils, à la tête massive, vainqueur de la Méduse dont «l’humour a triomphé de la douleur» (Perseus, eau-forte de 1904)…

Centre Paul Klee (Monument im Fruchtland 3, Berne, tél. 031/359 01 01). Ma-di 10-17h. Jusqu’au 6 octobre.

Du bizarre, du grotesque, de l’ironie teintée de rêve