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Le lieu aurait pu recevoir les bureaux d’Images Vevey et déployer des expositions sur deux niveaux, le plaçant ainsi sur la carte des importants centres d’art en Suisse. Des contacts avaient été pris avec des partenaires institutionnels, nationaux et internationaux. Stefano Stoll, directeur d’Images Vevey, avait sollicité des mécènes pour pouvoir assurer les frais d’aménagement et d’exploitation, outre l’aide que la Ville de Vevey était prête à accorder malgré des finances exsangues. En signant récemment une convention de soutien à Images Vevey, le canton de Vaud se réjouissait de cette possibilité ambitieuse de développement. D’autres autorités publiques ou économiques de la région partageaient l’enthousiasme général.
Acteur important
Sur place, personne n’en fait mystère. Le géant de l’alimentaire est fâché du moratoire décidé par la commune sur sa politique de construction. En attendant de nouvelles règles urbanistiques, impossible de déposer de nouvelles demandes de permis de construire. Nestlé, basé à Vevey depuis sa création au XIXe siècle, est un important acteur immobilier dans la commune, comme le souligne au Temps son porte-parole: «D’ici à 2020, Nestlé aura investi plus d’un demi-milliard de francs ces 25 dernières années pour la construction et rénovation de ses sites à Vevey et Entre-deux-Villes.»
La multinationale entendait entre autres créer 8000 m² de surfaces habitables dans le quartier de Plan-Dessus. Voilà son projet retoqué par l’autorité communale qui, loin de céder aux pressions de Nestlé, désire se concentrer sur son nouveau plan d’urbanisme. Agacé par le blocage, le géant aurait décidé d’en faire payer le prix, en l’occurrence culturel, à la Ville.
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Outre le renoncement au projet de la Ferblanterie, Nestlé a coupé pour les cinq prochaines années une subvention (65 000 francs par an) accordée au Musée Jenisch. Celle-ci concerne l’acquisition de nouvelles œuvres destinées à la collection d’art de l’entreprise, déposée dans le musée des beaux-arts veveysan. D’autres mesures vexatoires pourraient suivre. Le porte-parole de Nestlé ne parle pas de rétorsion: «Ces décisions ont été prises dans le seul but de garantir une allocation prudente de nos ressources, pour à la fois préserver les intérêts de nos employés et ceux de notre entreprise à long terme. Nestlé continue de s’engager pour la vie culturelle et économique de la ville de Vevey. Nous sommes l’un des partenaires principaux de la Fête des Vignerons 2019.»
Nestlé assure que le Musée Jenisch continuera à conserver et valoriser ses œuvres d’art: «Tous les frais liés à la préservation et à la valorisation de notre collection sont évidemment à notre charge.» De même, la multinationale soutiendra encore le Festival Images Vevey, dont la prochaine édition aura lieu en septembre, ainsi que le Prix Nestlé accordé chaque année dans le cadre de la manifestation.
Conciliation possible
L’affaire tombe au plus mal pour la ville, figée par les querelles intestines de sa municipalité. Le chaos a des conséquences sur la politique culturelle, notamment muséale. Lassée par le manque de dialogue avec la commune, contrariée par la baisse annoncée de son budget, la directrice du Musée Jenisch a démissionné en décembre dernier. La conservatrice du Cabinet cantonal des estampes, abrité au Jenisch, l’avait précédée de quelques mois. Les deux directeurs du Musée suisse de l’appareil photographique partent à la retraite en juin. Leurs postes, comme ceux au Musée Jenisch, n’ont pas encore été mis en concours.
Le municipal chargé de la Culture, Michel Agnant, plaide la bonne foi. Il n’a hérité de son département qu’au 1er janvier 2018, alors qu’auparavant, il devait le partager avec un autre membre de l’exécutif, sans avoir la responsabilité des musées. Il est question d’enfin doter la Ville d’un vrai Service de la culture, pourvu d’un chef au lieu d’un délégué. Ce service gérerait l’administration des musées, lesquels n’auraient que des conservateurs pour s’occuper des collections ou programmer des expositions. Michel Agnant se dit confiant. Malgré l’urgence, il demande du temps pour stabiliser la situation culturelle dans la ville.
De son côté, Nestlé ne parle pas de mesures définitives dans les cas de la Ferblanterie et du Musée Jenisch. Une conciliation peut-elle être encore envisagée? Elle serait souhaitable dans une commune qui associe désormais son identité aux images.