François Morellet avait fait du hasard et du jeu, les deux moteurs de son œuvre. Artiste que la critique rangeait parmi les minimalistes, l’un des rares représentants en France de ce mouvement américain, il restera aussi comme l’un des chantres de l’art cinétique. Agé de 90 ans, l’artiste s’est éteint dans la nuit du 10 au 11 mai à Cholet où il était né en 1926.

Fasciné par la géométrie et ses possibilités combinatoires, François Morellet s’intéresse très tôt à l’art concret zurichois dont il fera son influence de départ. Dans les années 60, il découvre l’art optique. Le peintre, comme tous les artistes de son époque, reste persuadé que le tableau est une histoire finie. Il fonde avec cinq autres plasticiens le Groupe de recherche d’art visuel (GRAV) qui produit des œuvres qui bougent grâce à des moteurs ou le déplacement de la lumière. En 1967, il entre chez Denise René, la galeriste parisienne qui va contribuer à diffuser cette forme d’art en mouvement.

Le Valais en néon

En même temps que Dan Flavin aux Etats-Unis, le Français s’entiche du néon, tube à gaz alors réservé aux enseignes publicitaires. Il les installe en ligne ou en grille selon un système mathématique ou, au contraire, de manière aléatoire. Il va ainsi en poursuivre l’utilisation bien après la dissolution du GRAV en 1968. Au point d’en faire sa marque de fabrique à l’internationale. Des centaines de Genevois passent d’ailleurs tous les jours sous l’une de ces œuvres lumineuses. Souvent sans le savoir, car il faut regarder vers le plafond. Lauréat du concours lancé en 1998 par la ville pour aménager le passage du Valais qui relie les quartiers de Sécheron aux Pâquis, François Morellet propose une œuvre en néon bleu. L’artiste, qui imposait des règles rigoureuses à ses compositions, avait du répondre à toutes une série de contraintes. L’œuvre doit éclairer, mais sans éblouir. Elle doit être accrochée en hauteur pour rester protégée à la fois du trafic des camions et du vandalisme. En passant vite, on pourrait n’y voir qu’une simple série d’éclairs qui traversent en zig-zag le tunnel. Le réseau relie en fait les 6 lettres du mot «Valais» dispersées sur les parois du souterrain. Comme souvent chez l’artiste français, c’est le titre qui donne ici la solution de l’œuvre. A Genève, «Le Valais et ses hasards» indique la clé de l’énigme. «Répartition aléatoire de 40 000 carrés suivant les chiffres pairs et impairs d’un annuaire de téléphone», est celle d’un tableau de 1961 dont l’esthétique pixelisée annonce le QR Code avec au moins 40 ans d’avance.

Couillonnades chics

A côté des néons, François Morellet avait aussi repris le travail de la toile dont chaque réalisation était le fruit d’une nouvelle formule. «J’essaie de mettre le moins possible de moi-même dans ces œuvres, le moins de décisions subjectives», expliquait l’artiste au sujet de son œuvre dégagée de toute forme d’affect personnel. Ce qui n’empêchait pas François Morellet d’être adepte de liberté et de bon mot. Et de cultiver un caractère qui tranchait avec ses pièces qui prônaient le détachement le plus total. Jovial et très drôle, il affichait une spontanéité tout à fait étonnante pour un artiste de son envergure. «Je m’adore! Toutes ces couillonnades chics et pas chères me plaisent beaucoup» racontait-il au Monde au sujet de sa rétrospective organisée au Centre Pompidou en 2011. Car depuis quelques années, Morellet était revenu sur le devant d’une scène qu’il n’avait jamais quitté. En Autriche, en Allemagne, en Angleterre et en Italie, les musées et les galeries exposaient son travail. Il avait aussi profité d’une nouvelle visibilité grâce à des accrochages thématiques autour de l’art et de la lumière et du retour en vogue de l’art cinétique. En 2010, le Louvre lui commandait la réalisation d’un décor. Morellet avait occupé les fenêtres de l’Escalier Lefluel dans l’aile Richelieu avec des compositions qui reprenaient, mais avec un certain décalage, les dessins en grille des carreaux. Son titre? L’Esprit d’escalier.