Imaginez un gourmand pénétrant à l’intérieur d’une sorte de grotte d’Ali Baba comestible. A droite des choux à la crème, quelques baklavas, une tarte de grand-mère et un fraisier signé Pierre Hermé. A gauche, pâté en croûte, sardines grillées et poule au pot façon Henri IV. En face, fruits exotiques et pommes du verger, fromages et salades. C’est un peu l’effet que fait l’exposition «Révélations» à l’amateur de photographie.

La manifestation est une première tentative d’inventorier et de valoriser le patrimoine photographique genevois. Plus de 200 œuvres sont présentées au Musée Rath, beaucoup plus si l’on tient compte des séries et des images montrées sur écrans tactiles. Elles émanent d’une quinzaine d’institutions dont le Centre d’iconographie de la Bibliothèque de Genève, le Jardin botanique, le CICR, ou le Musée d’art moderne et contemporain. L’exposition se veut la pointe de l’iceberg des collections abritées au bout du lac.

«Nous aurions pu ajouter les images de la police, de l’hôpital cantonal, de l’université, etc. Le patrimoine genevois comporte des millions et des millions de pièces. C’est titanesque», note la commissaire Mayte Garcia, assistante conservatrice au Musée d’art et d’histoire. Un groupe de travail a été fondé en 2012 par le Département de la culture afin de valoriser ce patrimoine et Sami Kanaan entend lui donner davantage de moyens (lire ci-dessous).

Mais revenons à l’exposition, focalisée sur les usages classiques du médium. Jean-Gabriel Eynard ouvre naturellement le bal. Sa collection de daguerréotypes, dont 35 viennent d’être acquis par le Centre d’iconographie pour 900 000,00 francs, est l’une des plus importantes qui soient. Riche financier de la place, promoteur de l’indépendance grecque, il s’est mis à la photographie à l’âge de 65 ans, alors qu’elle venait d’être inventée et pose en famille comme si la chose était la plus naturelle du monde. Suivent des calotypes, premier procédé négatif-positif, dont la plus ancienne photographie de Genève: le marché couvert de Bel-Air en 1842.

Des tirages provenant du Département archéologique du Musée d’art et d’histoire témoignent du compagnonnage entre la photographie et les chantiers de fouilles ici et là. L’Egypte est incontournable, avec les albums réalisés par Marguerite Naville pour documenter les campagnes de son époux archéologue. Mais le médium sert aussi à appuyer le travail des ethnologues et le Musée d’ethnographie présente un «Homme indien au bâton» photographié en 1870, un Albanais en costume traditionnel, une danse malgache, l’abattage d’un cochon valaisan ou un gros plan de tambour qui ressemble à un Rothko, signé de son photographe attitré Jonathan Watts.

Une salle dédiée au portrait montre des CV de comédiens avec leur minois illuminé par les studios Harcourt – une jolie possession des Archives de la Ville, la collection d’émaillerie du MAH et quelques joyaux de la Fondation Auer Ory comme une photosculpture de la reine Victoria, la danseuse satirique de Kertész ou des tirages de Nadar. Avec le Muséum, c’est la frimousse d’un coléoptère que l’on découvre, et de multiples supports: des diapositives pour une balade ornithologique, des plaques de verre pour un cours sur la minéralogie, la radiographie d’un coquillage ou la projection de macrophotographies. «La matérialité de l’objet photographique est au coeur de l’exposition», précise Mayte Garcia.

Le CICR, détenteur de plus de 800 000 images, éclaire la manière dont les images servent son action, pour témoigner, identifier ou mobiliser. Magnifique portrait d’une ambulance durant la guerre franco-prussienne, composée de plusieurs «demoiselles» et d’un «docteur». Moins attendu, le Département des constructions et de l’aménagement dispose d’un fond conséquent: suivi des nombreux chantiers qui transforment la ville mais aussi cartes blanches à des photographes pour documenter la cité et ses habitants.

Viennent encore le Fonds municipal d’art contemporain, avec la série de rues piétonnes, identiques de Genève à Marseille, signée de notre collaborateur Jean-Marc Meunier, le cabinet d’art graphique et son fameux livre pop up d’Andy Wahrol ou le Musée d’art moderne et contemporain avec un Boltanski.

La circulation est fluide d’un ensemble à l’autre; balade agréable – à défaut d’être toujours logique – entre les âges, les univers et les techniques. Les cimaises sont percées de fentes comme pour mieux signaler les passerelles. Comptez une à deux heures pour faire le tour. La pointe de l’iceberg.


«Révélations», jusqu’au 11 septembre au Musée Rath, à Genève. En parallèle, une exposition sur l’histoire de la photographie sans photographies à la Bibliothèque de Genève, proposée par la Fondation Auer Ory, du 5 juin au 11 septembre.


Sami Kanaan souhaite un lieu dédié

Le responsable de la culture fait de la photographie une priorité

A Genève, le théâtre a sa politique, l’art lyrique également. Sami Kanaan, chargé du Département de la culture et des sports, annonce désormais un focus sur la photographie. «Il y a eu jusque-là une addition d’actions valables comme des expositions dans l’espace public ou le lancement d’enquêtes photographiques mais jamais dans le cadre d’une politique affirmée», souligne le magistrat. Cette volonté tient en deux axes principaux: la mise en valeur des collections présentes à Genève, dont l’exposition «Révélations» est un premier grand pas, et le soutien à la photographie contemporaine.

Chaque année, une bourse destinée à documenter les évolutions de la ville sera dotée de 25 000 francs. Premier appel à candidatures lancé en septembre. Parallèlement, un mandat sera offert à un photographe pour «mener une enquête thématique», gratifié de 20 000 francs. Si le nombre d’expositions dans l’espace public augmentera, Sami Kanaan aimerait doter la ville d’un endroit ad hoc. «Il ne s’agit pas de copier le Musée de l’Elysée mais de pouvoir montrer la richesse de nos collections», note-t-il avant d’admettre qu’à Genève, «il est plus difficile de trouver un lieu que de l’argent».

(C. St.)