«Y a-t-il un lien entre Alberto Giacometti et Auguste Rodin? De quelle nature? De quelle intensité? Prenant quelle forme? Héritage, hommage, relation, réponse?» Cette série de questions posées par les commissaires de l’exposition, en ouverture du catalogue, possède a priori le caractère de l’évidence, tant Rodin a marqué l’histoire de la sculpture au XIXe siècle. Jusqu’à devenir une figure à laquelle tout aspirant sculpteur moderne a dû se confronter.

Mais ce serait oublier un peu vite l’éclipse que connaît la réception de son œuvre jusqu’aux années 1950: l’expressionnisme de Rodin est en effet difficilement conciliable avec les expérimentations formelles cubistes ou constructivistes qui prédominent jusqu’à la guerre. C’est d’ailleurs lorsque Giacometti s’éloigne du surréalisme, à partir de 1935, qu’il revient plus franchement à Rodin – celui qu’il avait tant admiré dans sa jeunesse. Il annote scrupuleusement les ouvrages qui portent sur son aîné, copie certains de ses dessins, s’inspire parfois très directement de ses sculptures.

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Monumentalité d’un côté, dépouillement de l’autre

La surface de ses œuvres, jusque-là plutôt lisse, évolue alors vers un modelé plus gestuel. Il est, de plus, toujours prompt à défendre publiquement l’importance de son héritage, comme en 1952, lors du débat sur le remplacement du Monument à Victor Hugo, fondu sous Vichy, pour lequel on pense à Rodin.

Monumentalité d’un côté, dépouillement de l’autre. Et partout, refus du naturalisme, expressionnisme, tactilité et inventivité, notamment dans l’usage des socles: l’exposition, qui consiste à juxtaposer deux figures pour révéler leurs points communs et différences, repose sur une méthode déclinable et déclinée à l’infini (Jasper Johns vs Edvard Munch, Alexander Calder vs Pablo Picasso, Emil Nolde vs Paul Klee, etc.). Le parcours, imaginé par les commissaires Catherine Grenier et Catherine Chevillot, directrices de la Fondation Giacometti et du Musée Rodin à Paris, propose ainsi des effets de montage entre les œuvres de Rodin et de Giacometti à partir de huit thèmes: la technique du modelage, l’usage de l’accident, des déformations, des socles, le traitement des groupes ou séries fournissent des points de comparaison à la fois théoriques et scénographiques.

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Leur rapport à la tradition est également abordé, via l’insertion dans l’exposition de pièces d’art égyptien et romain, issues des collections du Musée Rodin. L’espace central réunit, de plus, leurs versions respectives de L’homme qui marche (1907, 1960).

Rhétorique du génie

Reste alors la question suivante: que produit ce rapprochement au sein même de l’exposition? Et là, la réponse ne peut être que nuancée. Certains montages paraissent forcés, comme la confrontation du Cri (Rodin, 1898) et du Masque (Giacometti, 1947-1950), qui enferme ces artistes dans un expressionnisme chargé de pathos. D’autres passages de l’exposition sont plus subtils, comme la juxtaposition d’un bas-relief de Giacometti (Vue d’atelier) avec un ensemble d’art égyptien, ou le dialogue magnifique et dépouillé entre La Pensée (1893-1895) et l’Homme à mi-corps, en bronze (1965), dans un dispositif visuel qui rappelle le célèbre TV Buddha de Nam June Paik (1974).

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Pour bien regarder les œuvres, il faudra néanmoins faire abstraction d’une communication quelque peu grandiloquente autour de l’exposition, ainsi que d’une large part de son traitement médiatique, à grands coups de «face-à-face des génies», ou encore «rencontre au sommet». Présenter le dialogue de ces deux œuvres majeures comme une finale de Wimbledon n’aura en effet pas beaucoup d’intérêt d’un point de vue artistique et s’apparenterait presque, au contraire, à une tentative d’intimidation critique.


«Rodin-Giacometti».Fondation Gianadda, Martigny. Jusqu’au 24 novembre.