Deux cents images. Des portraits, des événements populaires ou politiques, des paysages. Deux cents images sur 100 000 documents. Les Archives cantonales vaudoises exposent un échantillon du travail de la photojournaliste Hélène Tobler. Davantage qu’une présentation du fonds qui leur a été remis en 2017, la manifestation est l’occasion d’une réflexion sur le patrimoine du photojournalisme suisse. Gilbert Coutaz, directeur des lieux, souhaite déclencher une prise de conscience quant à la nécessité de conserver ces centaines de milliers de tirages, mémoire d’une époque. 

Le Temps: Pourquoi avez-vous décidé de consacrer votre exposition annuelle aux photographies d’Hélène Tobler?

Gilbert Coutaz: Nous avons entamé une réflexion sur la conservation des archives de presse. En 2007, lorsque Edipresse a souhaité se délester de ses tirages argentiques après en avoir numérisé une petite part, je me suis retrouvé devant 800 mètres linéaires à évaluer! J’ai réalisé à ce moment-là qu’aucune institution n’était dédiée à ce genre de photographie. J’ai ensuite rencontré Hélène Tobler, qui se posait la question du devenir de ses tirages. Il y a eu convergence entre ses intérêts et notre réflexion. 2018 coïncide en outre avec les 20 ans de la fin du Nouveau Quotidien, pour lequel Hélène Tobler a beaucoup travaillé. Or ce journal offrait un statut particulier à la photographie, comme Le Temps d’ailleurs. La photographie n’y était pas seulement au service de l’article, elle était un élément en soi. 

Cette exposition est donc l’occasion d’aborder la question de la conservation de toutes ces archives?

Oui, nous souhaitons qu’elle porte notre démarche visant à donner un statut à la photographie de presse. C’est une ressource patrimoniale importante mais elle souffre de préjugés négatifs; même les musées de référence ne l’abordent pas comme un bien patrimonial. Ils n’y voient aucune démarche esthétique. Il est urgent de démentir cette approche, car des millions de tirages sont concernés; 7,5 millions d’images appartenant à Ringier ont été déposées aux Archives cantonales d’Aarau en 2006, le Bund vient de céder les siennes aux Archives de l’Etat de Berne.

Vous-même avez été sollicité par Edipresse, alors propriétaire de «24 heures», «Le Matin», la «Tribune de Genève»…

Edipresse a décidé un jour que son fonds photographique ne l’intéressait plus. Mais être prêt à jeter les tirages parce qu’on les a numérisés revient à jeter des livres parce qu’on possède les textes! Devant le silence de l’institution qui aurait dû en principe reprendre ces archives, à savoir le Musée de l’Elysée, nous avons été sollicités. Nous avons pris 740 000 tirages concernant le canton de Vaud, correspondant à 150 mètres linéaires d’archives, soit 18,7% de la totalité de ce qui se trouvait sur les rayonnages. Le reste a été réparti dans divers cantons, à la Cinémathèque, etc. 

Tout cela a-t-il été numérisé?

Pas encore! Nous avons établi un inventaire, consultable sur Internet et donnant accès à ces tirages en noir et blanc, datés de 1946 à 1998; 85% de ces images sont inédites, car les photographes déposaient 12, 24 ou 36 photographies, selon les pellicules, mais les journaux n’en publiaient qu’une ou deux. Outre ces inédits, on constate que des photographes de renom ont fait leurs premiers pas dans la presse, comme Marcel Imsand par exemple. Il y a beaucoup à explorer. La photographie de presse ne vit pas hors contexte. L’image est souvent commandée par un journaliste, recadrée, assortie d’un titre qui peut être une réinterprétation. Le photographe en est finalement dépossédé. Pour cette raison, nous cherchons toujours l’édition du journal qui diffuse le tirage, c’est riche en enseignements. La photographie de presse doit être comprise dans le journal qui la porte. Le travail de développement, le tirage font également partie de la lecture d’une image.

Quid de la production numérique actuelle?

Cette réflexion dépasse le domaine de la presse ou de la photographie, c’est un enjeu de société. Il existe des politiques d’archivage, comme à la Cinémathèque, mais cela reste aléatoire et incertain vu la rapidité des mutations technologiques. La photographie argentique est par ailleurs un témoin plus sûr, elle ne peut être manipulée. 

Pensez-vous qu’une institution romande ou nationale devrait être en charge de la conservation de ces archives de presse?

En octobre 2012, nous, les archivistes cantonaux, avons fait une déclaration commune. Nous saisissons les opportunités dans chaque canton de nous offrir comme dépositaires. Nous avons fondé en 2014 Réseau Archives Photographiques de presse qui a publié sur le sujet. Memoriav a inscrit le sujet dans la liste de ses préoccupations. Le problème est le peu d’engagement des institutions spécialisées, l’insuffisance du soutien politique et les masses de documents à considérer. La question apparaît au moment où les médias sont menacés. Des métiers et des techniques disparaissent, mais il faut bien continuer à témoigner de ces manières de faire.


Hier au Quotidien – Photographies de Hélène Tobler, jusqu’au 31 décembre 2018, Archives cantonales vaudoises


Soirées débat

28 février à 18h
Il y a déjà vingt ans, Le Nouveau Quotidien cessait de paraître. Retour sur la politique iconographique du journal et de son héritier, Le Temps.

13 juin
«Quelles photographies pour quelles recherches?»

21 novembre
«Quelles photographies pour quels lieux de conservation dans le canton de Vaud?» Avec le Musée de l’Elysée.


L’Elysée répond

Lorsque le groupe Edipresse a décidé de se départir de ses archives photographiques, en 2007, le Musée de l’Elysée n’est pas en entré en matière, ce que regrette Gilbert Coutaz, directeur des Archives cantonales vaudoises. Tatyana Franck, à la tête de l’institution, répond: «Je ne peux pas me prononcer sur ce qui s’est passé avant mon arrivée. J’aimerais cependant souligner que le Musée de l’Elysée s’implique pour la photographie de presse. Le dernier Prix Elysée, par exemple, a été remis au reporter Matthias Bruggmann et j’ai décidé de lui consacrer en plus une exposition. Quant à l’acceptation de fonds photographiques, nous ne le faisons que si nous avons les moyens financiers de les exploiter. Les derniers en date, Sabine Weiss et Jan Groover, sont chacun gérés par une personne à plein temps chargée de numériser, inventorier et exploiter, grâce au soutien financier de l’Etat de Vaud.»