Les gris sauvent Art Unlimited
Foire
Foire Si Art Basel ouvre officiellement jeudi, professionnels et collectionneurs découvrent peu à peu la foire depuis lundi. A commencer par son secteur monumental

Art Basel a-t-il attrapé le virus de la Biennale de Venise où tout le monde veut assister aux journées qui précèdent l’ouverture au public au point que celles-ci deviennent presque invivables? Pour cela, il faut être professionnel ou VIP, c’est-à-dire susceptible d’achats conséquents. A voir les queues sous la pluie pour entrer dans les grandes halles de la Messeplatz, le monde de l’art n’est pas en crise. A moins que, comme certaines plantes sentant leur fin possible, il ne bourgeonne à tout va pour assurer sa régénération, sa survie. Ce monde de l’art, plus d’une œuvre d’Art Unlimited lui tend un miroir cette année.
Dès l’entrée, où l’on voit quelques personnes en blanc, les mains gantées de rose, manipuler des formes invisibles. Comme le mime qui rend la vitre tangible, ils donnent à imaginer la forme d’une œuvre (Davide Balula, Sculptures mimées, 2016). Le duo Elmgreen & Dragset, commissaire de la Biennale d’Istanbul l’an prochain, met en scène une sorte de duel entre deux commissaires-priseurs. Il n’y a que le mobilier, l’estrade, les chaises vides et le son. La pièce, de 2015, s’appelle Secondary, comme secondaire ou comme second marché, là où se joue l’essentiel de la spéculation.
L’installation inédite de Hans Op de Beeck est une de ces «fictions visuelles» dont l’artiste a l’habitude. Ici, nous entrons clairement chez un collectionneur. Autour d’un bassin sombre où flottent des nénuphars blancs, tout est uniformément gris et figé. Il y a là une grande bibliothèque, un piano, des tableaux au mur – contemporains, sans cadre ou plus anciens –, des sculptures, des bouteilles vides et des cendriers pleins, comme après une fête. Mais dans cette uniformité on commence à se poser toutes sortes de questions sur l’art, la vie, la mort. Cette jeune fille alanguie sur le bord du bassin, cet enfant qui vous tend quelques mûres dans le creux de sa main, appartiennent-ils au décor du collectionneur ou sont-ce ses enfants, ses invités? Et nous, quelle est notre place?
Murs craquelés en face à face
Le gris, ou plus généralement le noir et blanc, on les retrouve dans toute une série d’œuvres de cet Art Unlimited. Et ils nous attrapent, nous retiennent dans cet univers bruissant de couleurs et de sons. En la matière, on trouve là des anciens, des maîtres: un peu caché sur un mur de côté, il y a le Wall of 8 Greys (2016) d’Alan Charlton, il y a Joseph Kosuth, dont on peut voir une série fondamentale, simples définitions du mot nothing photographiées et dans dix dictionnaires, agrandies et montées comme des tableaux, il y a encore Sol LeWitt, présent deux fois. Avec deux grands murs de polystyrène, l’un noir, l’autre blanc, face à face, craquelés comme une terre assoiffée (Black Storyfoam on Black Wall/White Storyfoam on White Wall, 1993), et avec Irregular Towel (1999), construction de cubes évidés en acier émaillé de blanc haute de près de six mètres.
Dans les nouvelles générations aussi, le gris fait sens. Chez Ciprian Muresan par exemple, dont un tout récent Palimpseste unit une quinzaine de dessins où il a copié au crayon les pages colorées du magazine Art Forum, gommant ainsi ses couleurs et unifiant publicités et photographies rédactionnelles. La sculpture de Rayyane Tabet est d’une beauté évidente. Elle apparaît abstraite au premier abord, mais son titre la révèle figurative, c’est La Mer Morte en trois parties (2013). Le plan d’eau est présenté dans sa profondeur géologique, mais aussi dans son contexte politique, selon la répartition territoriale de 1947. Debout, la masse d’eau la plus importante, jordanienne, couchées, celles attribuées à Israël et à la Palestine.
Le Zoom Pavilion (2015) de Rafael Lozano-Hemmer et Krzystof Wodiczko utilise les nouveaux médias. On se croirait dans un épisode de la série américaine Person of Interest. Ce sont les visiteurs, capturés par les multiples caméras, qui se retrouvent en noir et blanc sur les quatre hauts murs, surveillés dans leurs déplacements, leurs échanges avec les autres visiteurs, fichés selon des algorythmes utilisant la reconnaissance faciale.
Mêler les couleurs de la salade
Une envie de retrouver un monde en couleurs? Les occasions ne manquent pas. L’une d’elles se partage grâce à une grande dame du mouvement Fluxus. Tous les jours dans la halle bruyante, vers 14h, Alison Knowles fabrique avec ses assistants une salade géante, et colorée, qu’elle partage avec les visiteurs. Comme elle l’a fait pour la première fois en 1962. Dans son éditorial, Gianni Jetzer, curateur d’Art Unlimited, rappelle que Shakespeare appelait les années d’innocence et de jeunesse les Salad Days. On les retrouve volontiers avec Alison Knowles.
A voir
Art Unlimited, Messeplatz, Halle 1. Comme les autres secteurs d’Art Basel, ouvert du jeudi 16 au dimanche 19 juin. www.artbasel.com