India Mahdavi, beauté d’intérieur
Architecture
Elle est née en Iran, a grandi aux Etats-Unis mais travaille à Paris et achève un projet à Genève. Le cœur en Orient, la tête en Occident, comment la designer et architecte d’intérieur cultive ses deux racines

Son style? Facile: de la couleur et du glamour confortables. Trois mots qui ont fait le succès d’India Mahdavi. De Londres à New York, en passant par Genève, Arles et Monte-Carlo, l’architecte d’intérieur aligne les projets de restaurants, de boutiques mais aussi de résidences privées. Un buzz planétaire qui se mesure au nombre des arcades qu’elle possède le long de la rue Las Cases à Paris. Un écosystème qui comprend le studio qui crée le mobilier, les petits objets et met en plan les projets et deux showrooms qui les vendent.
A Toulon, où elle était présidente du jury du premier festival international d’architecture d’intérieure décerné par la Design Parade d’Hyères, elle a dessiné la muséographie de l’exposition Bleus Méditerranée et a choisi les œuvres accrochées dans des salles repeintes en azur profond. Il y a là un canapé Dune du designer Pierre Paulin, une installation de Land Art de Richard Long, des néons pop de Martial Raysse et une dizaine d’autres pièces sorties des dépôts.
«A mes yeux, le bleu est bien plus qu’une couleur. C’est un univers qui évoque le Sud, tous les Sud. Je suis une Orientale élevée en Occident, une déracinée multiculturelle pour laquelle le bleu représente un fil rouge: celui qui relie la mer au ciel», explique India Mahdavi qui profite de son passage pour présenter Home Chic, un livre de conseil pour ceux qui recherchent leur beauté d’intérieur.
«Ce n’est ni un bouquin de décoration, ni un ouvrage d’architecture d’intérieur, mais plutôt un livre de recettes. J’exerce ce métier depuis longtemps. A force, j’ai développé des astuces pour savoir comment résoudre simplement un vis-à-vis un peu moche, un plafond trop bas où composer avec un espace avec très peu de placards. J’avais envie de partager ces trucs. Et aussi de sensibiliser les gens à ma profession», observe celle pour qui son métier reste parfois mal compris du grand public. «Dans les pays anglo-saxons cela va de soi de faire appel à un architecte d’intérieur, même quand on a peu de budget. Ici, c’est tout de suite considéré comme une démarche réservée à une élite. Les magazines de déco ont tendance à publier des reportages sur des lieux refaits avec beaucoup de moyens. Ce qui crée forcément une distance.»
Décor James Bond
Metteur en scène de l’espace, designer, gestionnaire, conseiller et parfois psychologue – «avec la maison vous entrez dans l’intimité des gens» – pour India Mahdavi, l’architecte d’intérieur est «un chef d’orchestre, un réalisateur de films». L’analogie avec le cinéma ne tombe pas par hasard. Adolescente, India Mahdavi aurait voulu être cinéaste.
«J’ai beaucoup bougé pendant mon enfance. Je suis née à Téhéran, mon père était iranien et ma mère égyptienne. J’ai grandi aux Etats-Unis, mais j’ai fait mes études à Paris. Quand j’avais 14 ans, je passais mon temps dans les cinémas. J’adorais Fritz Lang et me disais que, plus tard, je ferais des films comme lui. Peut-être que j’avais envie de réinventer ainsi ma vie, moi qui dans le fond étais tout le temps une étrangère.»
Finalement ce sera l’architecture, puis l’architecture d’intérieur. Mais toujours avec le cinéma dans un coin de la tête. «Je me rêvais décoratrice de plateau. Je voulais faire des James Bond. Sauf que la France n’est pas un pays de films à grand spectacle. Et que je me voyais mal faire mes offres à Hollywood.» Après ses études, elle démarre donc chez Christian Liaigre. Il y a pire pour se lancer dans la profession. Liaigre, c’est LE décorateur des années 1990, celui qui va imposer une décennie très belle, mais très blanche, très bois foncé et camaïeux de beige.
Une fois installée à son compte en 1999, India Mahdavi va se faire un nom en travaillant la couleur et le glamour. «J’ai grandi aux Etats-Unis dans les années 1960, en plein dans le boom du mouvement pop. J’ai des souvenirs d’enfance en technicolor. Mais la couleur, c’est périlleux, c’est moins facile que d’imaginer des décors tout blancs et monochromes. Cette acrobatie m’amusait et faisait aussi ma différence. Car pour moi, la couleur c’est aussi la lumière. Faire entrer le soleil chez les gens, c’est une manière pour moi de leur apporter quelque chose de joyeux.»
Rose comme le Sketch
Et ça plaît. Restaurants, boutiques, hôtels, particuliers… très vite, les projets affluent sur le bureau de l’architecte qui bosse depuis chez elle. «Je venais d’avoir mon fils. Je travaillais entre deux biberons. J’ai dû ensuite prendre un bureau, un, puis deux assistants. Les choses sont allées très vite. J’ai eu de la chance, mais je ne sais pas vraiment pourquoi. Le fait d’être une femme m’a sans doute aidé. A l’époque, il n’y avait qu’Andrée Putman et son style très caractéristique. Je proposais un genre complètement différent. J’ai aussi été beaucoup soutenue par les rédactrices de magazine d’architecture d’intérieur qui sont, la plupart du temps, des femmes.»
Et puis il y a aussi son nom – India Mahdavi – qui interpelle sans réussir à savoir d’où il vient exactement. «Il sonne bien, c’est vrai. Et puis il fait voyager.» Les autres, mais surtout elle. Ce nom qui l’emmène de Londres à New York en passant par Genève, où l’architecte inaugurera, autour de la fin de l’année, une boutique-salon de thé pour Ladurée, le roi des macarons, dans le périmètre de l’Hôtel des Bergues (Four Seasons). Un boudoir à bonbons confortable et charmant pile dans l’esprit du pâtissier parisien. Et qui rappelle l’une des créations les plus emblématiques de l’architecte et designer.
Le Sketch, c’est depuis treize ans l’adresse branchée de Londres. Tous les deux ans, son propriétaire demande à un artiste de composer une installation dans cet espace d’un seul tenant. «Il y a deux ans, Mourad Mazouz engageait David Shrigley. Il a dessiné la vaisselle et exposé ses dessins, mais estimait que l’architecture d’intérieur et la fabrication du mobilier n’étaient pas son rayon. J’ai donc été engagée pour repenser les lieux à ma façon. J’avais envie d’une ambiance fraîche et féminine.» Elle propose un système de banquette à l’ambiance follement sixties et où la couleur rose se trouve absolument partout. «Je n’aime pas le rose, m’a tout de suite averti Mourad. Mais je vous laisse faire.» Il a eu visiblement raison. «Il paraît que Le Sketch est l’un des restaurants les plus Instagramés du monde.»
India et la Suisse
India Mahdavi entretient aussi un lien étroit avec la Suisse. Cet été, elle mettait la dernière main à la maison du domaine des Muy, terrain provençal où les galeristes Edward et Gabriel Mitterrand – actifs entre Genève et Paris – ont installé depuis l’an passé un jardin de sculptures où toutes les œuvres sont à vendre. Elle a surtout beaucoup travaillé à Arles pour Maja Hoffmann, la mécène bâloise des arts dont la Fondation LUMA, bientôt abritée dans un bâtiment dessiné par l’architecte américain Frank Gehry, est en train de transformer le paysage de la capitale camarguaise.
«J’ai réhabilité pour elle une ancienne maison provençale en une résidence, comme un petit hôtel de cinq chambres seulement. J’ai opéré un contraste entre les pièces toutes simples et très épurées et les salles de bains qui éclatent de couleur et qui m’ont été inspirées par les tenues souvent chargées des Camarguais.»
Désormais, elle veut se lancer dans l’architecture. «C’est ma formation première. Je me sens maintenant avoir la maturité pour assumer ce type de projet. Un concept de boutique tient cinq ans, celui d’un restaurant change aussi très rapidement. Un bâtiment, c’est autre chose. Il faut l’envisager avec une nouvelle temporalité. De la même manière que j’aime travailler à différentes échelles en passant d’un espace à habiter à un bijou, j’ai maintenant très envie de réaliser un objet qui durerait dans le temps.»
A voir
«Bleus méditerranée»,
jusqu’au 11 septembre,
Musée d’art de Toulon,
113 bd. Général Leclerc,
0033 4 94 36 81 01
1er festival international d’architecture d’intérieur, jusqu’au 11 septembre, Hôtel Micholet, 13 rue Micholet, Toulon
A lire
India Mahdavi et Soline Delos, «Home Chic», Flammarion, 208 p.