Une édition en forme de bilan, ou plutôt de retour aux sources. «Pour marquer les 20 ans de la manifestation, j’ai eu envie de revenir à ce qui constitue la photographie», note Hélène Joye-Cagnard, directrice des Journées photographiques de Bienne. «Une image est toujours une construction de la réalité, d’où le thème du permis de construire, évoquant également la construction identitaire ou celle du paysage.»

Vingt expositions, donc, dont un tiers environ consacrées à la scène locale, explorent divers chantiers. Comme toujours, la thématique est suffisamment vaste pour que les projets brassent très large: acrobates à la retraite, édification d’un barrage, impression en trois dimensions, répression politique, écriture de l’histoire, etc. Certaines images sont joliment scénographiées: tirage sur un tapis ou sous un escalier.

Le cru 2016 s’avère tout à fait intéressant et la promenade biennoise vaut le détour, même si les lieux d’exposition sont moins nombreux qu’à l’habitude, le PhotoforumPasquArt offrant plus de surface pour cette édition anniversaire. Programmé au printemps, contre septembre jusque-là, le festival se déploie entre le Photoforum, le Musée Neuhaus, la vieille ville, la bibliothèque et la Schule für Gestaltung. Point d’exposition spéciale ou de grand coup pour marquer les deux décennies, mais une publication et une fête, le 21 mai, en compagnie de l’association de photographes vfg. En attendant, les coups de cœur du Temps.

A voir:

Journées photographiques de Bienne, jusqu’au 22 mai 2016,

Soirée d’anniversaire le 21 mai à partir de 18 heures au PhotoforumPasquArt


Robert Ormerod: «International Rocket Week» (Gewölbe Galerie)

Chaque année près de Glasgow se réunissent les adeptes de fusées artisanales. Durant une semaine, ils campent près d’une vieille cabane de scouts et construisent leurs engins avant de les lancer depuis la lande. Robert Ormerod alterne les portraits, les détails et les images d’ambiance avec humour et sensibilité. C’est une femme tenant sa fusée comme un fusil, l’air plus morne que revêche, crinière rousse et t-shirt «Beachside». Un type portant un vaisseau jaune et un autre bleu, semblant hésiter entre les deux. Deux hommes le nez en l’air. C’est un bidon d’explosifs à bout de bras, un test de parachute, des quasi-missiles entreposés dans un bureau. Un groupe qui assiste à un décollage dans la pampa écossaise. Loin de l’univers ultra-maîtrisé de Kourou ou de cap Canaveral.


Delphine Schacher: «Bois des Frères» (PhotoforumPasquArt)

La Lausannoise a été mandatée par le Pôle de recherche national Lives et les Journées photographiques, de même que Simone Haug et Annick Ramp, pour travailler sur la vulnérabilité et la résilience. Elle a choisi d’explorer les cabanes plantées au pied du Lignon, à Genève, pour loger les ouvriers du bâtiment géant. Construites dans les années 1960, les chambres de 10 m2, cuisines et salle de bains communes, ont continué d’héberger des générations de saisonniers ou d’habitants précaires. En grand format, la photographe s’attarde sur un homme qui se rase, un autre qui fume une cigarette, un troisième qui songe. La solitude affleure. Un oiseau est coincé dans une cage, deux saucisses dans un petit grill. Les chats et les antennes paraboliques pullulent.

Sur un guéridon et une petite table en formica, des cadres exposent quelques plans sur un cahier Moleskine; Delphine Schacher a demandé aux résidents de dessiner leur chambre. Les rectangles tracés par José indiquent un lit, une armoire, une table, un ordinateur et un frigidaire. Azeredo, lui, mentionne son canari et son aquarium. Un autre a écrit 420 francs; est-ce le loyer? Il y a des traits assurés et précis, presque professionnels, d’autres tremblants. Des proportions réalistes ou pas du tout. Des vies entières dans un coup de crayon. Des croquis qui en disent plus que des photographies. C’est terriblement touchant.


Farhad Rahman: «One Last Playground» (PhotoforumPasquArt)

C’est un travail proposé par le tout jeune festival Goa Photo, l’un des partenaires de cette édition anniversaire. En attendant le démarrage d’un chantier de construction au Bengladesh, les enfants se sont approprié le terrain vague, disponible pour quelques jours seulement. Sous un ciel blanc et derrière un voile de poussière, ils montent fièrement leurs vélos, font des galipettes ou lancent des petits papiers en l’air. Certaines scènes semblent improvisées, d’autres chorégraphiées. Un enfant passe, le port altier, sous un tissu bariolé. Deux garçons portent des fleurs roses autour du cou, tandis qu’un troisième, en bleu, suspend un geste de danseur. Un autre se cache derrière un grand journal. «C’est l’histoire d’un monde fantastique, un monde en transition», indique l’artiste sur son site internet. «Y aura-t-il assez de place demain pour que les enfants jouent?» questionne-t-il encore.


Catherine Leutenegger: impression 3D et bugs informatiques (PhotoforumPasquArt et Neuhaus)

L’impression en trois dimensions promet des miracles. Comme toute technologie, il arrive qu’elle bugue. Catherine Leutenegger est allée collecter les résultats de ces errements informatiques auprès d’entreprises spécialisées. Puis les a photographiés. Nous voici face à un perroquet tranché net au niveau de l’aile gauche, une orange stratifiée, une paire de jambes sans reste du corps, un visage comme sculpté dans la neige et le vent, un autre comme un morceau de coquille d’œuf. C’est parfois drôle et parfois glaçant, selon le niveau de réalisme. Vision futuriste d’un homme en pièces détachées.

Dans un autre genre, Heather Dewey-Hagborg, elle, expose deux visages imprimés en 3D. Ce sont les versions féminine et neutre des traits de Chelsea Manning, ex-informateur de WikiLeaks devenu femme. Ils ont été réalisés à partir d’une goutte de sa salive, la prisonnière américaine ne pouvant être photographiée.

Comme Catherine Leutenegger, Miguel Ángel Tornero s’intéresse aux failles informatiques. Il soumet des images glanées au quotidien à un logiciel d’assemblage – pour réaliser des panoramas par exemple. Comme elles n’ont pas grand-chose à voir les unes avec les autres, le programme interprète et unit comme il peut. Pour la balade madrilène, cela donne une cascade coulant sur un plafond plein de néons, un homme à la tête de pierre, une moulure gigantesque semblant s’échapper d’un mur, etc. L’erreur est souvent manifeste, parfois subtile. L’absurdité se fait réjouissante, poétique ou effrayante.


Etienne Malapert: «The City of Possibilities» (PhotoforumPasquArt)

En 2006, les Emirats arabes unis décident de faire pousser une ville dans le désert, Masdar City, estampillée «zéro carbone». Le chantier devait durer dix ans, mais la crise et les problèmes techniques ont freiné la construction et rogné les ambitions. Etienne Malapert s’est rendu sur place, photographiant le monde des résidents et celui des ouvriers. Les uns s’affichent replets sous leur djellaba ou en Ray-Ban rouge à lèvres. Des voitures de luxe attendent devant des complexes de luxe. Les autres se reposent un instant à l’ombre d’un bosquet fleuri, un foulard sur la tête. A quelques kilomètres, une forêt de panneaux solaires abîme le désert.