Il y a cette employée, blouse rayée et regard dans le vide, en train d’astiquer une vitre. Cette fumeuse qui arbore un ventre rond sous son top en résille. Ou encore cette affamée qui aspire sans délicatesse ses nouilles instantanées. On a du mal à y croire, mais toutes ces femmes sont autant d’alter ego de Nora Rupp. Ou, plutôt, des personnages auxquels elle donne vie devant l’objectif. Depuis vingt ans, la photographe vaudoise se déguise, se métamorphose et s’immortalise. Une série d’autoportraits qu’elle expose pour la première fois à Lausanne.

Inspirées par l’artiste américaine Cindy Sherman, les mises en scène de Nora Rupp, étudiante à l’école de photographie de Vevey lorsqu’elle entame ce projet en 2001, constituent d’abord un moyen d’expression. «L’idée était d’utiliser mon corps comme matière première. Je partais, costumes et maquillage sous le bras, à la recherche de lieux abandonnés.»

Des lieux qui, souvent, inspirent ces «autres», quand elles ne naissent pas de l’imaginaire de Nora Rupp. Elle les matérialise pendant des heures, dans les moindres détails, «jusqu’au mégot de cigarette ou à l’éclat de lumière sur les cheveux».

Grandeur nature

De l’argentique au numérique, les autoportraits ont suivi l’évolution technologique et, petit à petit, développé leur esprit militant. «De la femme de ménage à la mère au foyer non rémunérée, ces figures évoquent la condition de la femme, les injonctions à la beauté, le devoir de séduction», détaille Nora Rupp, qui a déconstruit par ce travail ses propres contradictions. Le titre de l’exposition, Un Corps à soi, rend d’ailleurs hommage à l’œuvre de Virginia Woolf, qui défendait en 1929 la place des femmes dans la littérature.

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A l’espace Forêt 11, au Flon, des citations féministes encadrent une sélection de 37 autoportraits, grandeur nature ou presque. Les visages toisent le public et le questionnent: notre corps nous appartient-il vraiment? Vit-on pour soi ou pour le regard des autres, leur validation?

Libératrice, cette réflexion se déclinera aussi à travers une quinzaine d’événements à prix libres «qui donnent la parole aux femmes», se réjouit Nora Rupp. Au programme: une performance de la comédienne fribourgeoise Joséphine de Weck, qui se jouera sur scène des prétendues bonnes manières, une lecture poétique sur la binarité de genre par l’artiste Klimte; un atelier du collectif Drag Kings, pour jongler avec les codes de la masculinité. Un festival miniature placé sous le signe du partage et de l’ouverture.


«Un Corps à soi», exposition et divers événements à l’espace Forêt 11, Côtes-de-Montbenon 11, Lausanne, je et ve 18-20h, sa et di 14-18h, jusqu'au 25 septembre. Retrouvez tous les articles de la rubrique «Un jour, une idée».