Photographie
Connu pour ses photos géantes placardées dans l’espace public, l’artiste s’est invité dans la cité genevoise. Plusieurs centaines de résidentes et résidents se sont fait tirer le portrait pour une exposition XXL présentée en plein air jusqu’au 24 avril

C’est un étrange véhicule qui a pris ses quartiers en ce début de semaine, place du Lignon. Il ne roule pas: les passagers volontaires n’y montent qu’une minute à peine et ressortent en même temps que leur portrait géant, un poster de 1 m sur 1 m 30 imprimé instantanément. Bienvenue dans le camion-photomaton Inside Out de l’artiste JR, installé au cœur de la cité genevoise pour une opération artistique éphémère.
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JR: ces initiales évoquent immédiatement des images. Car ce «photograffeur» français de 39 ans en a fait sa patte, placardant (souvent illégalement) des photos noir-blanc en milieu urbain, affiches XXL à portée humaniste. Lancé en 2011, son projet le plus emblématique, Inside Out, se sert du portrait pour rendre visible une communauté. Ainsi, les visages de femmes ont recouvert les façades d’une favela carioca, les bobines d’Israéliens ont côtoyé celles de Palestiniens sur le mur séparant les territoires occupés à Jérusalem, les rides de personnes âgées ont envahi les rues de Carthagène. Devenue plateforme participative, Inside Out décline désormais le concept aux quatre coins du globe – jusque dans la cité verniolane.
Et sous le patronage des hautes tours, ils sont déjà là, à vous dévisager: les portraits de 365 habitantes et habitants du Lignon, collés sur une ribambelle de panneaux de la SGA. Autant de sourires francs ou timides, de moues joueuses, de clins d’œil, toutes les origines et tous les âges contrastant sur un fond pop art et s’étalant sur près de 1 km – une «ligne de vies», du nom de l’exposition.
Renverser l’image de la cité
Ce joyeux trombinoscope, co-organisé par l’association verniolane EMA Art et Terroir, pour fêter un anniversaire (légèrement anticipé): les 60 ans du début des travaux du Lignon, en 1963, première pierre de ce qui deviendra la plus grande barre d’immeubles d’Europe. Un patrimoine à célébrer, songe Xavier Casile, fondateur de la maison d’édition genevoise Good Heidi Production, durant le confinement. Et l’occasion de rassembler les 6500 habitants de la cité genevoise. «Ce qui m’intéresse, ce sont les gens d’ici. Derrière chaque porte, chaque fenêtre, il y a des vies, des ethnies, des générations différentes. L’art permet de les réunir.»
Avant l’arrivée du camion (sans JR, mais avec ses équipes rodées à l’exercice), il a fallu recruter des volontaires, par tous les moyens – «flyers dans les cartables des écoliers, les cages d’ascenseur, annonces dans le journal local, campagne au centre commercial», énumère Marc Baggiano, cofondateur d’EMA Art et Terroir. Alors que les premiers candidats se font attendre, les réseaux sociaux s’emballent et il n’y aura finalement plus assez de place pour tout le monde. Patientant devant le camion, Isa et son fils Anas, 12 ans, sont parmi les derniers à se faire tirer le portrait. «J’habite au Lignon depuis toujours, lance-t-elle. J’aimais l’idée de voir les habitants en me promenant!» Anas, lui, se prépare: il n’y aura qu’un seul clic…
Encourageant la cohésion sociale après deux ans de pandémie, le projet, qui s’accompagnera d’une publication prévue à l’automne, espère aussi renverser la perception de la cité. «La presse se concentre volontiers sur les faits divers, regrette Gian-Reto Argamunt, conseiller administratif de Vernier. Des événements inacceptables, certes, mais les feux, ce n’est pas qu’au Lignon! Ici, c’est comme un petit village. Il y a aussi des animations, des clubs, des lieux de rencontre…»
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Si elle souffre d’une mauvaise réputation, la cité reste un agent clé d’intégration, rappelle Xavier Casile. «Les réfugiés arrivent où? Ici. Il y a eu la vague des Italiens qui ont fui la faim, des Espagnols qui ont fui le franquisme, de ceux qui ont fui la guerre du Rwanda ou celle des Balkans.» Et maintenant, les réfugiés ukrainiens. La veille, il a rencontré une mère et sa fille, qui ont joué le jeu de l’objectif. «Elles avaient le sourire: j’ai réussi mon pari!»
«Inside Out/Ligne de vies». Exposition en plein air à Genève, au Lignon. Du 8 au 24 avril.