Il dit que «parler de la photographie, c’est une manière de parler de nous». Au cours de sa carrière journalistique, Luc Debraine a amené aux divers titres pour lesquels il a travaillé – Le Nouveau Quotidien, L’Hebdo et Le Temps, dont il est encore un collaborateur régulier – une conscience de l’image. Historien de l’art de formation, il a été le premier à tenir une chronique régulière sur la photographie, ce qui l’a notamment amené à proposer au Musée de l’Elysée, en 2007, le concept de l’exposition Tous photographes!, à travers laquelle il interrogeait la mutation de la photo amateur à l’ère du numérique.

A propos de l’exposition «Tous photographes!»: Esthétique de l’amateur

Ce printemps, le Vaudois passe définitivement de l’autre côté de la barrière: le voilà directeur du Musée suisse de l’appareil photographique de Vevey. Il prend officiellement ses fonctions ce lundi, aboutissement logique d’une passion qui remonte à très loin puisqu’il a littéralement grandi au milieu des appareils de prise de vue.

Se frotter au monde

Luc Debraine est le fils du photographe Yves Debraine (1925-2011), qui fut proche de Jean Tinguely et Charles Chaplin, et dont on peut actuellement découvrir, à l’Espace Jean Tinguely-Niki de Saint Phalle de Fribourg, un reportage réalisé au milieu des années 1960 au mythique Chelsea Hotel de New York. S’il se familiarise très vite avec la photographie, il n’imagine par contre pas en faire son métier, avouant préférer l’analyse à la pratique.

A l’Université de Lausanne, la rencontre avec le professeur Michel Thévoz sera déterminante. Sous sa direction, il réalise son mémoire de licence sur l’artiste d’art brut russe Eugène Gabritschevsky, avant de travailler à ses côtés au montage d’une exposition à la Collection de l’art brut. Il se voit alors décerner une bourse pour une spécialisation à la Fondation Roberto Longhi de Florence. Une carrière académique s’ouvre à lui, mais au dernier moment, il renonce.

Intéressé par le journalisme, conforté dans l’idée qu’il s’agit là d’un métier pour lui suite à un premier article publié dans L’Illustré au milieu des années 1980, Luc Debraine décide de se lancer et est engagé comme stagiaire à L’Est vaudois. «Il fallait que je sorte de ma coquille, que j’aille me frotter au monde, même s’il est rugueux, même si parfois ça fait mal», résume-t-il. Très rapidement, il commence à écrire sur la photographie, ce qui ne se faisait guère à l’époque. Sa première chronique régulière, il la tiendra dans Le Nouveau Quotidien, ce journal qui de 1991 à 1998 réinventera le journalisme culturel.

Du daguerréotype au numérique

A Vevey, Luc Debraine entend approfondir la réflexion menée dans le cadre de l’exposition Tous photographes!, observer au plus près les différents enjeux technologiques et esthétiques actuellement à l’œuvre. «Il s’agit de la révolution la plus profonde depuis les débuts de la photographie il y a presque 200 ans», estime-t-il en commentant l’amélioration continue des fonctionnalités de nos smartphones.

«Ce qui me fascine, c’est la manière dont une technique peut encourager et créer des pratiques. Un Cartier-Bresson, par exemple, n’aurait jamais pu devenir ce qu’il a été sans l’invention de ce tout petit appareil silencieux, qu’il pouvait emmener partout, avec lequel il pouvait danser, qu’est le Leica. Doisneau, qui était un timide, a eu, lui, le Rolleiflex, un appareil qui lui évitait de devoir regarder directement les gens. Aujourd’hui, le téléphone portable, qui est à la fois un outil de communication et de prise de vue, a bouleversé tout ce qu’on croyait acquis, si bien qu’on ne sait plus très bien comment nommer la photographie.»

Yves Debraine au Chelsea Hotel: Yves, Niki, Jean et les autres

Le nouveau directeur du Musée suisse de l’appareil photographique souhaite faire de l’institution, codirigée depuis 1991 par Pascale et Jean-Marc Bonnard Yersin, un espace de réflexion et d’observation. Un lieu vivant qui regarde à la fois derrière et devant. Il y a quelques semaines, dans le cadre des cours de culture visuelle et numérique qu’il donne à l’Académie du journalisme et des médias de l’Université de Neuchâtel, il a organisé, dans les murs du musée veveysan, une rencontre entre ses étudiants et le photographe Niels Ackermann, venu expliquer pourquoi, lorsqu’il se rend dans des zones de conflit, il ne travaille plus qu’à l’aide de son téléphone. Et dans le même temps, un groupe d’Américains a récemment privatisé l’institution pour un atelier de trois jours consacré au daguerréotype, procédé photographique mis au point à partir de 1835. Luc Debraine entend bien continuer à organiser des visites guidées, des séminaires, rencontres ou encore laboratoires lui permettant de dresser des ponts entre les pratiques d’hier et celles de demain.

Vignerons en couleur

Le Musée suisse de l’appareil photographique propose deux expositions temporaires par an. L’été prochain, la très attendue Fête des vignerons lui permettra de mettre sur pied un accrochage pensé par le couple Yersin et qui, à travers des images d’archive, le verra se pencher sur une autre question qui le fascine, celle des rapports entre le noir et blanc et la couleur. «La Fête des Vignerons 1955 a marqué l’apparition de la couleur. Je souhaite faire dialoguer ce phénomène historique avec ce qui se passe aujourd’hui: alors que la couleur est une évidence, le noir et blanc est devenu un filtre, une application utilisée a posteriori. J’aimerais pouvoir discuter du statut de la couleur, avec tout ce que cela implique aussi d’un point de vue psychologique. Tandis qu’elle montre le présent, le noir et blanc est devenu une sorte de machine à remonter le temps. La couleur, c’est la vie, le réel; le noir et blanc adoucit les choses, mais il les dramatise aussi.»

Engagé à 80%, Luc Debraine dirigera le musée lémanique jusqu’à l’été 2020. Il collaborera ensuite deux ans avec la nouvelle direction de la culture de la commune vaudoise comme chargé de projets, en lien avec le concept «Vevey, ville d’images».