L’homme n’existe pas. Pas plus que la femme. Restent des clichés et des attentes qui finissent par forger des comportements et des représentations. Ce n’est donc pas le masculin que le Photoforum Pasquart questionne dans sa nouvelle exposition, mais la masculinité. Le projet émane des sept femmes photographes de l’agence VII. «Ce collectif a longtemps été un bastion d’hommes. Il n’y avait qu’une femme – Alexandra Boulat – parmi les sept membres fondateurs en 2001, relève Danaé Panchaud, directrice du Photoforum. VII s’est ouvert aux femmes ces dernières années et elles ont imaginé ce projet dans le contexte de #MeToo, en réponse à l’hyper-masculinité du photojournalisme.»

Elles sont sept également, et leurs séries sont autant de réflexions et de portes d’entrée – ou de sortie – sur la thématique des genres. Nichole Sobecki, photographe américaine basée au Kenya, s’est penchée sur les nouvelles générations d’hommes africains. Ses modèles ont posé selon une mise en scène qu’ils ont eux-mêmes choisie, manière assumée de se présenter au monde. C’est un jeune père de famille riant aux éclats avec un nourrisson dans les bras, c’est une larme qui roule sur une joue ou un homme accompagné d’un tout petit chien.

Ilots de sécurité

Nous sommes loin, très loin, des types hargneux de Pieter Hugo tenant des hyènes en laisse au Nigeria. Des témoignages accompagnent chaque portrait. Ils racontent cette figure du patriarche qu’il s’agissait de respecter plus que tout, cet homme à qui ses nombreux enfants osaient à peine adresser la parole. Ce père qui fournissait toit et nourriture mais pas la moindre affection.

LaToya Ruby Frazier au Centre de la photographie Genève:Ma famille, mes combats  

La New-Yorkaise Jessica Dimmock donne à voir une autre communauté peu représentée en photographie: les transgenres déjà âgés. Des portraits sur des chemins sombres ou dans l’habitacle d’une voiture, pauvres îlots de sécurité pour ces personnes longtemps entre-deux. Gina, par exemple, s’est engagée dans l’armée en espérant «se faire tuer à la guerre». Durant près de vingt ans, avant un coming out effectué à l’aube de la soixantaine, la seule bouffée d’air de cet homme se rêvant femme était de se promener quelques minutes en talons hauts, dans une allée peu éclairée.

Sur la photographie, Gina marche en se retournant et l’on croit y déceler l’attitude d’un animal qui a peur d’être traqué. Un autre raconte être devenu mécanicien d’avion, afin peut-être de réveiller sa virilité, un troisième a opté pour les garde-côtes. Comme s’il fallait une surenchère de testostérone pour liquider les velléités féminines. Double peine et terribles souffrances pour ces personnes atteintes d’un trouble alors inconnu.

La différence est flagrante avec les portraits de Linda Bournane Engelberth, Algéro-Norvégienne qui a photographié des personnes non binaires à travers le monde, c’est-à-dire ne se revendiquant ni homme ni femme ou les deux à la fois. Elles vivent en Afrique du Sud, aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, elles sont jeunes et elles assument. Là encore, des témoignages éclairent leur histoire. «Nous n’avons pas l’habitude d’avoir autant de textes sur les murs du musée, sourit Danaé Panchaud mais ils font partie intégrante des travaux. Ces photographes sont aussi des journalistes; dans leur optique, mots et images se répondent.»

Femmes nues, hommes habillés

Mais si certaines ont opté pour des travaux purement documentaires, d’autres se sont essayées à une approche plus plasticienne. L’Américaine Sara Terry, ainsi, revisite l’histoire de l’art, truffée de femmes nues, en y ajoutant réflexions et histoire personnelle. La Maja nue de Goya a été peinte deux fois dans la même posture, une fois vêtue et une fois nue. «Le propriétaire des tableaux pouvait tirer une corde pour révéler La Maja nue à son gré, pour son plaisir personnel et celui de ses amis. C’est cette histoire qui me met en colère, écrit Sara Terry, la possession de la représentation de la nudité d’une femme, le pouvoir de la dévoiler à volonté.»

Alors l’artiste a photographié un homme en costume trois pièces, regard arrogant et pied sur le bureau. Derrière lui, un crâne de crocodile, un globe terrestre, un sabre, attribut du pouvoir. Lorsque le visiteur de l’exposition le souhaite, il peut déplacer ce premier cadre pour exhiber le second: même homme, même bureau, même pose et regard arrogant mais nu. Et le puissant devient vermisseau.

D’autres facettes encore de la représentation masculine sont explorées par les travaux d’Anush Babajanyan, Ilvy Njiokiktjien et Maggie Steber. Dans une vitrine trônent une épée et des bijoux datant de l’Antiquité. Ils ont été empruntés au Nouveau Musée Bienne, qui explore actuellement les pratiques archéologiques face aux stéréotypes. Durant longtemps, il suffisait de trouver une arme dans une tombe pour l’attribuer à un défunt homme tandis que des boucles d’oreilles devaient forcément signaler une femme. On sait aujourd’hui que la réalité est bien plus complexe.


«Her Take: Repenser la masculinité», Photoforum Pasquart, Bienne, jusqu’au 5 avril 2020.