Mathias Velati, la pensée libre
Portrait
Après trois ans de stage au Musée de l’Elysée, le jeune homme atypique publie un livre inspiré des photographies de la collection

Il y a des phrases que l’on aimerait avoir écrites. D’autres dont l’on souhaiterait se souvenir. Parce qu’elles énoncent une pensée supérieure, mettent en scène une image éloquente. Ou parce qu’elles sont d’une poésie brute. On les souligne au crayon gris, on les note dans un cahier ou on glisse des petits papiers entre les feuilles pour les retrouver. Dans «Histoires du bout du monde en scrutant l’horizon», j’ai consigné les pages 12, 42, 54, 64, 94 et 125. Mathias Velati y a écrit: «Un papillon tourne autour du pot», «Ils ont ouvert les vins de messe et depuis tout va bien», «Elle ne peut plus parler qu’en faisant coin-coin» – à propos d’une femme transformée en poule pour avoir médit…
Mathias Velati a 22 ans «et demi». Le demi a son importance; il dit la précision du jeune homme, sa particularité aussi. Depuis près de quatre ans, le Morgien travaille au Musée de l’Elysée, à Lausanne, dans le cadre de la Passerelle culturelle, selon la brochure. «Mathias a rejoint notre école à la fin de la scolarité obligatoire. Il présente des troubles d’attention et d’apprentissage mais il est surtout original. C’est un intellectuel. Il aurait pu suivre une formation spécialisée, cependant il était attiré par l’écriture, la philosophie, les livres, se souvient Deborah Galmiche, directrice de l’école de l’Institution Lavigny. Nous lui avons trouvé un stage dans une librairie, le côté commercial était trop stressant. Alors j’ai pensé au milieu culturel, le seul où la différence soit perçue comme une ressource et non un handicap. J’ai appelé l’Elysée qui lui a offert un stage de trois mois et c’est ainsi que le projet a été lancé.» Pilotée par l’Institution Lavigny et le musée de photographie et financée en partie par l’AI, la Passerelle culturelle propose désormais des stages-formation de trois ans à une douzaine de jeunes gens, à l’EJMA, la Manufacture, au Ballet Béjart ou encore aux ateliers de Saint-Prex.
Mathias Velati a bouclé son cursus à l’automne dernier – il est désormais engagé pour un contrat de deux deux. Le livre couronne son travail de fin d’études. Vingt-cinq textes y répondent à vingt-cinq photographies anonymes tirées de la collection du musée. Il y a une barque à voile sur le Léman au début du 20è siècle, une usine des années 1930, le glacier de Grindelwald ou la gare de Bombay. Beaucoup de clichés en noir et blanc, beaucoup qui racontent le voyage. Les phrases, elles, sont souvent à rallonge. Avares de ponctuation, tordant la syntaxe, elles alignent les mots, les expressions et les allitérations, rebondissant sur l’image ou s’en éloignant. Le lecteur est comme en apnée dans les pensées de l’auteur, l’une débouchant sur une autre dans une sorte de mouvement perpétuel. Soudain, un mot recherché ou une référence culturelle secoue la litanie des maximes populaires. Mais c’est la langue qui semble faire sens et non l’inverse. Le bonheur d’écrire est évident. Les lignes de Mathias Velati tiennent à la fois de Raymond Queneau et d’Isidore Isou, de Jacques Prévert et de Georges Perec. A la contrainte d’écrire à partir d’un cliché, le jeune auteur en a ajouté d’autres, comme se passer de la lettre a ou rédiger à la première personne du pluriel.
«J’ai commencé pour le plaisir de raconter des histoires. C’est pour ça que j’aime faire les visites guidées au musée. J’aime beaucoup lire, les polars comme Stephen King, 50 nuances de grey, Oliver Twist. J’aime la nature aussi, le lac, le ski, le sport. Les photos de paysages me font voyager. Salgado, avec ses manchots ou le fleuve Amazone. Caron avec ses photos de guerre. C’est terrible, mais c’est bien fait», liste Mathias Velati en levant soudain les yeux. Comme dans le livre, la pensée s’envole, marque des pauses, ouvre de nouvelles fenêtres puis revient sur le fil de la conversation. Mathias marmonne pour lui seul, hausse la voix pour répondre aux questions, s’intéresse à son interlocuteur, le tout presque simultanément. Il cite les anecdotes derrière les images, évoque longuement celles tirées du film Freaks. «J’aime ces personnages et leurs différences. Il y avait la femme à tête d’épingle, les sœurs siamoises, Hans le nain et puis l’homme-tronc. C’était presque un ver de terre mais il arrivait quand même à allumer ses cigares!»
A la fin de l’ouvrage, un fac-similé reproduit quelques pages d’un grand cahier à petits carreaux. Une écriture fine emplit les feuillets, sans laisser de marge. La référence à l’art brut est immédiate. «Nous avons hésité à le montrer à cause de cela, concède Arthur Brugger, écrivain et coordinateur éditorial du musée, qui a accompagné Mathias Velati tout au long du projet. Nous ne voulons pas de cette étiquette «art brut». L’idée n’est pas de dire «Regardez, c’est formidable ce qu’il a réussi à faire» mais de le traiter comme tout auteur. En ce sens, nous avons effectué un gros travail de réécriture, tout en conservant la spécificité de son style. Mathias est tout à fait capable d’un retour critique.»
Le livre a été tiré à 500 exemplaires et toute l’équipe du musée semble en tirer une grande fierté. «C’est la mission d’un musée de promouvoir les talents, y compris internes. Mathias raconte un autre point de vue sur le monde et il le fait très bien. Cet ouvrage contribue aussi à valoriser notre collection. Le musée tient, en outre, à être accessible à tous les publics. Bref, tout sonne juste dans ce projet», énumère Tatyana Franck, la directrice. Mathias Velati, lui, s’est doucement ouvert au contact de ses collègues. «Il adore son travail au musée, particulièrement les moments d’accrochage. Il ne manquerait pas une journée, même lorsqu’il est malade, sourit sa maman Francine Velati, éducatrice chez qui il vit avec sa soeur. Et puis ce livre, dont il ne m’avait pas parlé, est magnifique. C’est une réussite qui fait du bien car ce gamin a été confronté à beaucoup d’échecs. Les enfants sont durs entre eux et il a été très dénigré à l’école, jusqu’à ce qu’il intègre Lavigny et rencontre des jeunes avec des caractères différents, comme lui. La lecture, l’écriture et le dessin ont toujours été son refuge.» Un abri désormais public.
Mathias Velati, Histoires du bout du monde en scrutant l’horizon, éditions du Musée de l’Elysée, décembre 2015.
4 dates
1993 Naissance à Morges
2008 Intègre la Passerelle, école de l’Institution Lavigny
2012 Entre en stage et formation au Musée de l’Elysée
2015 Publie son livre