Graphisme
Le designer franco-suisse pourrait bientôt développer un plus vaste projet dans Genève

Réintroduire dans la ville des mots inutiles. C’est avec cette formule intrigante que Ruedi Baur a expliqué son envie d’écrire sur les murs, lors de l’inauguration de son projet sur la façade de Saint-Gervais ce mardi. La formule prend son sens quand on lit les cinq lignes de texte signées par le graphiste et designer. Il y est question du mot qui «se trouve en usage à d’autres fins que de vous faire consommer, de vous avertir ou de vous interdire». En l’occurrence, plus que des mots écrits sur les bâtiments, ce sont de ceux qui prennent vie dans le bâtiment, ceux du théâtre, dont il s’agit.
Cette police de caractère (Din Black) aisément lisible en attendant au feu rouge a pu être appliquée en profitant des échafaudages posés cet été pour changer les stores du bâtiment. C’est Ruedi Baur lui-même, qui vient régulièrement à Genève dans le cadre de son enseignement à la HEAD, qui a souhaité donner ainsi de la visibilité au théâtre. Et Philippe Macasdar, son directeur, de se féliciter de la promptitude de chacun, et surtout des services de la Ville, pour réaliser le projet avant que les échafaudages ne soient ôtés.
Ainsi, deux magistrats, Rémy Pagani et Sami Kanaan, étaient venus vernir sous la bruine ces phrases qui défendent le théâtre et ce mot «qui est dialogue, dispute, mémoire, rime, inutile, essentiel, art». Sami Kanaan, chargé de la Culture, a reconnu leur force pour signaler le Théâtre Saint-Gervais mais aussi plus largement, dans un contexte où «l’évidence d’un théâtre n’existe pas». Et de faire allusion à la remise en cause de la Nouvelle Comédie et à la «prise en otage du Théâtre de L’Usine».
Nous avons aussi demandé au magistrat ce qu’il pensait du projet de Ruedi Baur, conçu avec l’écrivaine et journaliste Karelle Ménine et avec Philippe Macasdar, d’envahir plus largement Genève de phrases tout aussi «inutiles» et donc essentielles. «Génial», a-t-il simplement lancé. En précisant qu’il fallait pourtant encore trouver «le bon montage et le bon moment». De quoi s’agit-il? D’une version genevoise de La Phrase, une expérience menée tout au long de l’année à Mons, un des fils rouges de cette Capitale européenne de la culture 2015.
Dialogue entre architecture et écriture
A Mons, Karelle Ménine a récolté des textes de Verhaeren, de Verlaine, de surréalistes belges et d’auteurs de partout qui ont écrit sur Mons ou correspondu avec les auteurs montois. Elle y a aussi glissé quelques mots à elle. De quoi écrire en lettres capitales sur dix kilomètres, à hauteur de regard le plus souvent, en dialoguant avec les architectures, avec l’urbanisme. Une police d’écriture qui étire les lettres au gré des pavés et surtout d’aimables négociations pour assouplir quelques réticences rencontrées, voilà qui a permis au projet d’avancer au fil de l’année.
Les derniers mots seront posés le 12 décembre. Un travail a été mené en parallèle avec ceux qui ne peuvent se balader dans la ville, enfermés dans la prison même où Verlaine paya son coup de feu contre Rimbaud. Patti Smith, grande amoureuse de la poésie rimbaldienne, est même venue leur rendre visite et écrire un long poème inédit sur le mur de la prison.
Le projet genevois cherche sa formule, mais il part du même principe, faire sortir des livres les phrases de ceux qui ont écrit à Genève ou sur Genève pour leur donner sens dans la ville même. «Nous avons reçu un soutien de la Fondation Oertli, qui défend le plurilinguisme, pour un projet plus global en quatre points de Suisse. Peut-être allons nous associer les deux idées», explique Ruedi Baur. A suivre.
«A suivre». Karelle Ménine à Saint-Gervais, en dialogue avec Jack Ralite, mercredi 4 novembre à 18h30. Autour de l’ouvrage La Pensée, la poésie et le politique (Editions Les Solitaires intempestifs).
«La Phrase», projet montois, a son blog.