Exposition
De loin, ils ressemblent à de grandes photos noir-blanc, mais c’est au fusain que la jeune artiste valaisanne réalise ses portraits hyperréalistes. Des œuvres de minutie, porteuses de messages engagés, qu’elle expose actuellement à La Cabine de Sion

Ce qui frappe d’abord, c’est leur taille. Comme à l’étroit dans leurs cadres XXL, les modèles en imposent et vous toisent, le regard bien droit. Mais déjà, le vôtre décèle, sur ces femmes plus grandes que nature, une multitude de détails: ici, les plis serrés d’une robe, là, l’éclat d’une pommette ou la gerçure d’une lèvre. Et cette boucle folle qui n’en fait qu’à sa tête, vous l’avez vue?
A la dérobée, on croirait observer une photo en noir et blanc. Les ombres, les volumes, les reflets des peaux et des matières, tout y est. Mais en s’approchant un peu, les traits marqués et le grain du papier révèlent que l’instantané est en réalité l’œuvre d’une main.
Celle qui crée l’illusion presque parfaite s’appelle Murzo. Depuis cinq ans, cette jeune Valaisanne réalise d’immenses portraits hyperréalistes au fusain et au crayon graphite. Dans le café et espace de coworking sédunois La Cabine, elle expose jusqu’à la fin du mois sa dernière série, F A T, qui met en scène des femmes avec un point commun, celui de ne pas correspondre aux standards de beauté de notre société.
Imprimés et paillettes
Aussi loin qu’elle se souvienne, Murzo, 31 ans aujourd’hui, a toujours aimé immortaliser ses semblables. La démarche se veut quasi-anthropologique. «Je suis quelqu’un de très introverti. En dessinant l’être humain, j’ai l’impression de mieux le comprendre», lâche-t-elle dans un sourire. Une timidité, couplée à une famille peu portée sur les choses artistiques, qui la découragera longtemps de dévoiler ses esquisses.
Jusqu’à ce que, en 2010, après une année de droit et des expériences dans le secteur administratif, Murzo décide de s’envoler à Vancouver pour poursuivre une école d’animation 2D. Les dessins de nus qu’elle y étudie confirment son amour des silhouettes et, de retour dans son Valais natal, l’artiste en herbe se jette à l’eau. Dans le sous-sol de la maison familiale, elle démarre sa galerie de portraits.
Tous naissent selon le même processus lent et minutieux: sur la base de photographies qu’elle a elle-même prises puis retravaillées, l’artiste marque les proportions au crayon, «comme le peintre coucherait une base sur sa toile». Puis s’ensuit un travail d’orfèvre pour reproduire fidèlement les jeux de lumière et de transparence, les textures et le mouvement des vêtements, qui donnent du fil à retordre lorsqu’ils arborent des imprimés. Ou pire, des paillettes. Pendant des heures, Murzo fait des va-et-vient vers le dessin pour ne pas manquer un seul grain de beauté. «Je passe autant de temps à dessiner qu’à observer. C’est comme si j’entrais en méditation.» Et en communion avec ses sujets. «A la fin, je connais des détails qu’eux-mêmes ne remarquent pas. Et je ressens un attachement émotionnel à mes modèles.»
Une intimité à laquelle le public sera sensible. Lors de sa première exposition, fin 2013, la Valaisanne vend presque toute sa collection le soir du vernissage, des portraits qui représentent pour la plupart son entourage.
Eclairer les minorités
Très vite, les projets s’enchaînent et le coup de fusain se fait plus engagé. «J’ai réalisé que ce qui m’intéressait, c’était avant tout de mettre en lumière les minorités», souligne l’artiste. A commencer par la communauté LGBT +, qu’elle croque pour l’association valaisanne Alpagai en 2015, accompagnant les portraits de textes et de témoignages vidéo. Une recherche documentée qui deviendra désormais sa patte: plus que des reproductions, Murzo offre un espace privilégié, un regard délicat et éclairé sur ceux qu’on voit trop peu. «C’est aussi pour cette raison que j’aime les grands formats: parce qu’ils forcent à regarder, à s’attarder sur chaque dessin.»
Sa dernière série en date, F A T, dénonce la grossophobie, ces jugements désobligeants, voire agressifs, que subissent les personnes à corpulence forte, en particulier les femmes. «Parce que contrairement aux hommes, chez qui la corpulence peut être associée à un certain charisme, une forme de présence, le regard de la société est bien plus violent quand il s’agit d’une femme grosse», précise Murzo, qui souhaitait également faire écho au sexisme dénoncé notamment par le mouvement #MeToo.
Sur les murs clairs de La Cabine, elles sont cinq à poser, mains sur les hanches, comme si elles n’en avaient que faire de l’opinion du visiteur. Confiantes et vivantes. Parmi elles, deux Genevoises, même si Murzo l’avoue, il n’a pas été facile de trouver des volontaires en Suisse romande. «Dans nos régions, il y a encore beaucoup de honte associée au fait d’être gros. Les discriminations dans le milieu médical, professionnel ou au sein des couples sont omniprésentes», regrette-t-elle. Preuve en est le récit d’une des modèles, qui raconte devant la caméra les réflexions sur son poids essuyées lors d’un entretien d’embauche.
Bousculer les codes
Se servir de l’art pour faire passer un message de tolérance, voilà ce à quoi aspire véritablement la Valaisanne. Et l’hyperréalisme facilite la transmission au plus grand nombre. «Contrairement aux œuvres conceptuelles qu’on associe souvent à l’art contemporain, le figuratif permet à une personne lambda de comprendre l’idée immédiatement», affirme celle qui cite comme inspiration le New-Yorkais Robert Longo.
Et qui commence à se faire une place dans le monde très fermé des foires helvétiques: en début d’année, Murzo exposait à la Rhy Art Fair, salon off d’Art Basel, où ses portraits anthracite ont reçu un accueil enthousiaste.
Il n’empêche: la Valaisanne semble faite pour secouer les codes. Dans sa prochaine série, elle revisitera des peintures connues représentant des femmes nues, souvent passives… dont elle coupera soigneusement la tête. Histoire de défier le regard patriarcal qui a dominé l’art au fil des siècles. Des corps, oui. Sans voyeurisme poussiéreux, merci.
F A T expo, La Cabine (Sion), jusqu’au 25 octobre. www.murzoart.com