Le nom de Varenne s’affiche de nouveau dans le quartier des Bains, où se concentrent institutions et marchands d’art. C’est un petit événement. Liée à Genève, la famille d’Olivier Varenne – qui vient d’ouvrir, rue des Bains, une galerie à son nom – l’est aussi à l’art depuis plusieurs générations. Le grand-père du galeriste, son père Daniel ont été collectionneurs et marchands, tout comme Olivier, 45 ans, l’est aujourd’hui.

Mais ce n’est pas sa seule casquette. Olivier Varenne est aussi, en Tasmanie, aux antipodes, l’un des acteurs de l’aventure du Museum of Old and New Art (MONA), cet espace privé à l’architecture aussi vaste que polymorphe, qui tente, sous la houlette de son propriétaire David Walsh, devenu richissime grâce au black-jack, de réinventer l’expérience du musée.

Les puces et les copains

Revenons en Europe. A la fin des années 1950, Daniel Varenne, le père d’Olivier, disparu en 2018, ouvre, à Paris, une galerie consacrée à l’art moderne et contemporain. En 1978, il installe son enseigne et sa famille à Genève. «Ma mère était la muse d’Yves Saint Laurent», raconte Olivier Varenne, né à Paris et grandi au bout du Léman. «Enfant, je traînais dans la galerie. J’avais une correspondance avec Dubuffet: des dessins d’enfants dans des lettres que j’ai hélas perdues.»

Le jeune garçon croise Dubuffet, Ben aussi, dont quelques œuvres s’affichent à la rue des Bains. Il rencontrera aussi Jean-Pierre Raynaud, puis Christo et Jeanne-Claude dont Daniel Varenne est chargé de dresser le catalogue raisonné. Olivier Varenne nuance: «Mon père n’était pas tellement proche des artistes. Ce qui l’intéressait surtout, c’était les œuvres. Il disait que les artistes le détournaient de l’œuvre en elle-même.»

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Ce qui attire Olivier, en effet, c’est «le côté collectionneur». «J’étais tous les week-ends au marché aux puces pour chercher des trésors. J’ai encore aujourd’hui de vieilles collections d’adolescent. Mon père a grandi aux Etats-Unis et la mentalité américaine fait que, tout jeune, on doit travailler. Je gagnais de l’argent de poche en achetant des objets aux puces et en les revendant à des copains de mon père.»

L’art et le négoce. Olivier Varenne fait une école hôtelière puis obtient un diplôme de finance en Californie. Très vite, il s’oriente vers le marché de l’art: «L’art m’attirait. Je voulais comprendre le métier. Quand j’ai commencé à la Galerie Pace Wildenstein à New York, je pensais y connaître quelque chose. Mais rien du tout! A la Pace, j’étais encore un peu le fils de Daniel. C’est en travaillant ensuite à Londres chez Gagosian, galerie rivale de mon père à l’époque – ils ne travaillaient pas ensemble et n’en avaient pas envie – que je me suis mis dans le bain. J’ai choisi Gagosian pour donner un gros coup de collier, pour tout apprendre des artistes, pour comprendre les rouages du système.»

A Londres, Olivier Varenne organise une exposition singulière dans son appartement qui attire l’attention: «Quand je travaillais pour Gagosian, j’étais payé au lance-pierre, je devais faire des ventes pour honorer mes factures. Un jour, j’ai réussi une grosse vente et loué un grand loft! Dans cet appartement, j’ai exposé une sculpture de 14 mètres sur 13 et 2 de haut. Il y avait un parcours intérieur, des projections. L’artiste n’a pas continué sa carrière, mais pour moi, ça a été un sacré coup! Sam Keller [l’ex-directeur d’Art Basel, qui dirige aujourd’hui la Fondation Beyeler] et d’autres acteurs du milieu ont été surpris. J’ai eu des retours de collectionneurs et Sam Keller m’a présenté David Walsh.»

Un système unique

Ainsi débute l’odyssée du MONA. «David Walsh avait un musée d’archéologie avec de l’art égyptien à Hobart en Tasmanie, une maison dessinée par l’architecte australien Roy Ground. Il s’étonnait que personne ne vienne voir son musée. Je lui ai proposé d’acheter des œuvres chez Gagosian, ce qu’il a fait. De fil en aiguille, on s’est bien entendus et on a commencé à se renseigner sur les musées qui marchaient. Qu’est-ce qui fait que les gens vont dans tel musée plutôt que tel autre? Comment ces musées-là sont-ils éclairés? Comment y circule-t-on? Nous avons visité des musées à travers le monde. Puis, il m’a engagé et on a tenté de développer un nouveau système unique, en matière d’architecture, d’accrochage, de juxtaposition des œuvres et même d’audioguide.»

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Olivier Varenne partage son temps entre l’Europe et la Tasmanie, séparées par trente heures d’avion. «J’ai été curateur, codirecteur, aujourd’hui je suis directeur artistique et des acquisitions. Pour l’essentiel, j’amène des artistes sur place, on travaille avec eux, on crée des projets: nous venons d’ouvrir une grande exposition de Tomas Saraceno.»

A Genève, Olivier Varenne reprend ses marques. Au mur de l’espace des Bains, John Armleder, Sylvie Fleury, Jonathan Delachaux, des artistes d’ici. Une manière d’atterrir sans doute, car ce passeur d’art fourmille de projets. Artgenève d’abord, puis de nouvelles expositions, et, bien sûr, des ventes. «Chaque semaine, quelqu’un vient me voir des quatre coins du monde. Ils passent pour les sports d’hiver ou les Ports francs. Mais je n’ai pas encore beaucoup de collectionneurs genevois. C’est un peu pour ça que j’ai pris cette galerie, pour la développer et voir comment ça se passe.»


Profil

1977 Naissance à Paris le 21 mai.

2001 Travaille à la Pace Wildenstein Gallery à New York.

2003 Arrivée à la Gagosian Gallery, à Londres.

2006 Rejoint le MONA, en Tasmanie.

2018 Décès de son père, le galeriste et collectionneur Daniel Varenne.

2022 Ouverture de la galerie Olivier Varenne à Genève.


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