C’est à deux pas de la place de l’Etoile, rue Quentin-Bauchart, que Christo, jeune étudiant en art à Sofia qui a fui la Bulgarie communiste, s’installe en mars 1958, à son arrivée en France. Depuis la lucarne de sa chambre de bonne, il entraperçoit l’Arc de Triomphe qui surgit au-dessus de ces toits de Paris qui l’ont toujours fasciné.

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C’est au cours de cette même année 1958 que l’artiste rencontre sa future épouse, Jeanne-Claude, née comme lui le 13 juin 1935, et avec laquelle il vivra un amour fusionnel. En 1961, ils commencent ensemble à concevoir et créer des œuvres temporaires pour l’espace public. Christo imagine alors empaqueter l’Arc de Triomphe. «En 1962, j’ai réalisé quelques études dont un photomontage de l’Arc de Triomphe empaqueté vu depuis l’avenue Foch. J’étais très jeune et n’imaginais pas pouvoir le faire un jour. C’était un rêve», soulignait Christo. Un rêve qui prendra près de soixante ans pour devenir réalité, cet automne, en l’absence des artistes, Christo étant décédé en mai 2020, et Jeanne-Claude en 2009 déjà.

Feu vert de l’Elysée

Le projet a refait surface en 2017, trois ans avant la grande exposition Christo et Jeanne-Claude programmée au Centre Pompidou pour 2020. L’idée était de jumeler la manifestation avec l’empaquetage d’un grand monument parisien. Christo opte alors pour l’Arc de Triomphe. Après deux années de lobbying auprès de l’Elysée mené par Bernard Blistène, le directeur du Musée national d’art moderne, et Serge Lasvigne, président du Centre Pompidou – relayés et appuyés par Philippe Bélaval, président du Centre des Monuments nationaux –, les trois hommes obtiennent gain de cause. En janvier 2019, Emmanuel Macron donne son feu vert à la réalisation du projet. Un processus de décision rapide si on le compare à celui d’autres grands «empaquetages» signés par le couple. Il a par exemple fallu dix ans avant que celui du pont Neuf voie le jour en 1985, et même vingt-quatre ans pour que celui du Reichstag prenne forme en 1995.

Installé à New York depuis le milieu des années 1960, Christo a imaginé tous ses projets monumentaux – rideau rouge suspendu dans les montages rocheuses du Colorado en 1972, passerelles jaunes flottant sur les eaux du lac d’Iseo en Lombardie en 2016, etc. – depuis son atelier de Manhattan. Début 2020, l’artiste s’y voyait déjà: «Ce sera comme un objet vivant qui va s’animer dans le vent et refléter la lumière. Les plis vont bouger, la surface du monument va devenir sensuelle. Les gens auront envie de toucher l’Arc de Triomphe.» Après la disparition de Christo, c’est son neveu, Vladimir Yavachev, qui prend en charge la coordination du chantier de réalisation de l’œuvre.

Un budget de 14 millions d’euros

Emballer un monument historique de 50 mètres de hauteur, 45 de longueur et 22 de largeur, planté au point de ralliement de 12 avenues, et qui accueille 1,7 million de visiteurs annuels, n’est pas une mince affaire. Deux mois de montage ont été nécessaires, de la mi-juillet à la mi-septembre. Avant de déployer les lés de tissu monumentaux, pesant chacun plus d’une tonne, avec l’appui d’une équipe de 140 ouvriers, dont 95 cordistes, il a fallu fixer des cages métalliques pour protéger les sculptures et les arrêtes du monument. Mille personnes au total participeront à la réalisation de l’œuvre pour le compte d’une trentaine d’entreprises dont des sociétés spécialisées dans les travaux en hauteur, des cabinets d’ingénierie et de design et des bureaux d’études en ingénierie et sécurité incendie.

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Le budget? Quatorze millions d’euros entièrement autofinancés par l’Estate de Christo V. Javacheff grâce à la vente d’œuvres originales de l’artiste (dessins, collages et photomontages préparatoires), souligne le communiqué de presse. «En empaquetant l’Arc de Triomphe, nous allons renouveler le regard que l’on porte sur ce monument historique que nous connaissons tous mais que nous ne regardons plus tellement. Sa monumentalité va être soulignée, et ses grandes lignes et les structures de son architecture seront sublimées», s’enthousiasme Laure Martin, la présidente du projet «Arc de Triomphe».

«Sinistre symbole»

L’objectif de Christo, artiste de la démesure, était avant tout de créer des moments de surprise et d’émerveillement… Des moments d’émerveillement coûteux critiqués sur les réseaux sociaux. Certains, pas vraiment emballés, brocardent un «sinistre symbole», d’autres «une forme d’art contemporain visant avant tout au spectaculaire». L’architecte Carlo Ratti invitait, lui, dans une tribune publiée dans Le Monde du 11 septembre, à abandonner «l’esthétique des emballages à haut gaspillage». Vous souhaitez vous faire propre opinion, au plus près de l’œuvre? A vous de jouer. La place de l’Etoile sera réservée aux piétons durant les trois week-ends de sa présentation au public, du samedi 18 septembre au dimanche 3 octobre.


«Christo and Jeanne-Claude. L’Arc de Triomphe Wrapped – Paris, 1961-2021», édition trilingue allemand-anglais-français, Ed. Taschen, 96 pages.