Quelle est l’influence du patrimoine sur les artistes contemporains? Telle est la question posée par le Musée d’art et d’histoire de Fribourg (MAHF), avec l’exposition Mémoires vives. En collaboration avec Visarte Fribourg, une association d’artistes et architectes, le lieu se pare d’une quarantaine d’œuvres, imaginées en réaction à la collection permanente. Une exposition de groupe qui explore le lien avec le patrimoine, pour Caroline Schuster Cordone, directrice adjointe du musée: «L’idée est de comprendre comment ces œuvres interpellent les artistes, nourrissent leur travail. Nous avons sélectionné une sorte de best-of d’une douzaine de pièces, qui nous semblaient représentatives du MAHF, du XIIe au XXe siècle.» Des tableaux et sculptures destinés à servir de point de départ pour une nouvelle création. Chacun des artistes a soumis deux propositions au musée, qui a sélectionné les plus appropriées et les a entraînées dans un dialogue artistique. L’échange est le maître mot de ce pari singulier, qui réunit 43 artistes fribourgeois de 34 à 90 ans.

L’art au féminin avec Marcello

L’exposition prend toute son ampleur dans la grande salle du MAHF, qui s’ouvre sur un diptyque étonnant de Wojtek Klakla. L’artiste a choisi de s’inspirer du musée dans son ensemble de façon implicite avec Aus der Reihe Fragile, consacré aux caisses de voyage des œuvres. «Il évoque ici le côté fragile de l’art mais aussi de l’artiste, qui se dévoile à chaque exposition.» Cette ouverture mène à une première sélection inspirée de la Pythie, réalisée par la sculptrice Marcello pour l’Opéra Garnier de Paris vers 1880, et présente dans la collection du musée dans un petit format. La créatrice suisse avait moulé son propre buste pour l’occasion.

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Les variations de cette pièce emblématique se déclinent autour de «l’émergence difficile d’un art féminin au XIXe siècle», et toujours aujourd’hui. Du collage éponyme de Pierre-Alain Morel aux moulages de seins de Gib mir deine Brust! par Valeria Caflisch, les motifs de la célèbre sculpture sont matérialisés à travers la pluralité des sensibilités artistiques.

Réseaux sociaux et fil de nylon

Le visiteur plonge ensuite dans un espace dédié à la spiritualité autour d’œuvres marquées par le religieux, comme le Relief de Villars-les-Moines. Là encore, les inspirations sont multiples. Si Ivo Vonlanthen voit ici l’occasion de former un vitrail traversé de lumière, Beat Fasel reprend la technique du relief autour des icônes modernes que sont les réseaux sociaux.

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Quelques pas plus loin, la renaissance se manifeste via des interprétations d’Arbre fleuri par Ferdinand Hodler. Une évocation printanière peinte aux environs de 1899 qui donne lieu aux plus étonnantes réinterprétations de l’exposition. Avec ses six Nocturne, Marie Vieli a matérialisé l’arbre devant son atelier, dessiné chaque soir avec une particularité: ne pas le regarder, ni ce qu’elle trace ou les couleurs qu’elle utilise. Le résultat, surprenant, côtoie la pièce Fabric d’Anne Bussard, qui a tricoté un fil de nylon pendant onze mois, en engageant un dialogue avec les passants rencontrés. Le travail donne lieu à une œuvre très aérienne.

De Saint-Félix aux influenceurs

Après avoir côtoyé les cieux et la cime des arbres, le visiteur est invité à s’enfoncer dans les profondeurs du musée. Cette fois, c’est la ville de Fribourg qui se décline à partir de Vue cavalière de Fribourg par Grégoire Sickinger. Entre photographie, installation vidéo et dessin vectoriel, les artistes contemporains ont réimaginé la topographie de la cité avec humour et excentricité. Le parcours de Mémoires vives au MAHF se termine sur une réflexion autour de la mort à partir des gisants, particulièrement «Le Saint des catacombes: saint Félix». Ces reliques ont suggéré à Nicolas Perrin la création d’un compte Instagram, «@felix_le_saint», à la manière des influenceurs voyageurs: «L’idée est de montrer que ce sont eux les nouvelles formes de vénérations actuelles.»

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A quelques pas du MAHF, l’exposition se poursuit à l’Espace Jean Tinguely – Niki de Saint Phalle, avec huit derniers artistes. Tous ont créé des œuvres en dialogue avec l’engagement social et l’esprit performatif du couple iconique des années 70. La place de l’individu dans la société de consommation est questionnée à travers la figure de Barbie (Olivier Zappelli avec Good Soup) mais aussi via l’importance du musée lui-même dans notre rapport au monde (L’Etincelle du musée de Marina Limat).

Faire vivre le musée

Toutes les œuvres originales ont conservé leur place dans le circuit permanent du MAHF, loin du tumulte créatif contemporain proposé dans les autres salles. Pour Caroline Schuster Cordone, c’est une façon «d’inviter les visiteurs à parcourir la collection dans son ensemble». D’autant plus qu’ils sont également encouragés à entrer dans ce dialogue original et décalé grâce à un photomathon, un atelier créatif et une sorte de livre d’or réinventé sous forme de post-it. Avec Mémoires vives, la codirectrice du MAHF espère susciter un nouvel intérêt pour le fonds du musée, très marqué par le religieux: «On n’a plus les codes pour comprendre cette histoire culturelle, donc il faut trouver d’autres manières de la faire vivre.» Le pari a toutes les chances d’être tenu.


«Mémoires vives», au Musée d’art et d’histoire de Fribourg ainsi qu’à l’Espace Jean-Tinguely – Niki de Saint Phalle, jusqu’au 18 août. Horaires d’ouverture: du mardi au dimanche de 11h à 18h et le jeudi de 11h à 20h. Nuit des musées samedi 25 mai, en présence des artistes. Plus d’informations sur le site du musée.