Portrait
Directeur de l’espace culturel indépendant la rada, à Locarno, l’Italien est un pilier de la promotion de la discipline au Tessin. Une véritable passion, vécue en autodidacte

L’élégance italienne, costume trois pièces, 56 ans, fraîchement sorti du salon de coiffure à peine rouvert, Riccardo Lisi nous accueille en son royaume. Une ancienne centrale de téléphone fixe de Swisscom convertie en espace d’art contemporain indépendant, «la rada», qu’il dirige à Locarno. Installé à une grande table en bois massif du XIXe siècle ayant appartenu à ses ancêtres, tout comme le tapis persan sous nos pieds, il sert du thé à la menthe dans un magnifique service des années 1920, style Art nouveau, acheté il y a cent ans par sa grand-mère en Tchécoslovaquie.
«L’art contemporain incarne un concept lié à la culture du moment, à l’actualité; son champ d’application est immense», explique-t-il d’emblée. En vingt-quatre ans d’existence, La Rada a organisé 120 expositions. Sans jamais répéter les artistes, contrairement à la plupart des galeries et autres espaces indépendants, précise son directeur, «ce qui n’est pas facile».
«Nous avons un budget de 80 000 francs, un loyer de 21 000 francs, nous présentons huit ou neuf expos et un film par an. Nous évitons le gaspillage», souligne Riccardo Lisi. D’ailleurs, pour économiser 4000 francs, il n’hésite pas à aller chercher et à rapporter lui-même en fourgon des œuvres jusqu’en Pologne. A La Rada, il donne beaucoup de son temps gratuitement. «Je travaille par passion, je vis de passions, l’art me passionne.»
Une famille musicale
Récemment, il a posé sa candidature pour deux postes dans le secteur de l’art contemporain, à Bienne et à Lugano, où il gagnerait dix fois plus qu’actuellement. «Pour fonder une famille et devenir mécène de la rada.» Car après ses huit ans à la tête de l’espace indépendant tessinois, celui-ci n’a plus tant besoin d’un directeur que d’un comité qui le gérerait, estime-t-il.
Riccardo Lisi grandit à Pescara dans les Marches, entouré de deux frères, d’une sœur et d’une cousine orpheline, au sein d’une famille jadis millionnaire, mais son père est mort endetté. «Nous avions néanmoins une grande richesse culturelle.» Lisi père créait des instruments électroniques et, du côté de sa mère, la famille possédait une fabrique d’accordéons.
Ses dessins d’enfant étaient abstraits. «Jusqu’à 4 ans, je ne parlais pratiquement pas, j’étais très tranquille. J’ai marché tard aussi.» En revanche, avant qu’on le lui explique, il avait compris le théorème de Pythagore, en observant les tuiles de la salle de bains. Plus tard, le jeune Riccardo étudie la chimie industrielle, à Ancône, avant d’obtenir un diplôme en statistiques à l’Université de Bologne.
C’est entre 1996 et 1998 qu’il fait ses débuts comme commissaire d’expositions, en autodidacte, dans un tunnel abandonné et dans un complexe de grottes naturelles à Porlezza, près de Côme. Entre 2001 et 2007, il coordonne les activités culturelles de La Fabbrica, lieu culte de la culture contemporaine tessinoise. Après quoi, il assiste pendant quelques années des artistes internationaux, dont Vanessa Beecroft, Chiara Dynys, Al Fadhil et Marco Poloni. Avant de reprendre les rênes de La Rada en 2012, succédant à Noah Stolz, parti en Suisse romande.
Comme artiste, il a présenté il y a deux ans sa première exposition personnelle, Prisma, préparée en six jours, au Sonnenstube de Lugano. Il y expose des œuvres très intimes, comme une empreinte de ses trois doigts atteints de paresthésie (perte de sensibilité) ou une sculpture faite de toutes les boîtes de médicaments consommés depuis son infarctus.
Aujourd’hui, il fait partie du jury de la sélection des artistes suisses de la Biennale de Venise, éditions 2021 et 2023. «La scène suisse de l’art contemporain est exceptionnelle et très vaste. Mais quand je visitais le pavillon helvétique à Venise, je trouvais que la Suisse pouvait faire davantage, plus courageux», commente-t-il. Ses artistes suisses préférés? Le duo Fischli & Weiss, Urs Fischer, Pipilotti Rist et Gianni Motti.
Modèle: Bart Simpson
A l’international, il admire, «entre beaucoup d’autres», Jean-Michel Basquiat. «J’aime l’art punk; les choses faites du premier coup, la vitalité, le désordre, l’entropie. Il y a une profonde beauté dans le chaos.» Un modèle, une source d’inspiration? Il confie se sentir proche de Bart Simpson. Comme les jeunes des années 1990, fait-il valoir, il a une certaine rapidité dans l’approche des technologies numériques et il s’ennuie vite. «J’ai besoin de stimuli.»
Développer et rendre plus accessible l’art contemporain non commercial à l’échelle régionale est sa mission. Quatorze heures par jour – de 13h à 3h – il s’y consacre, avec un ordinateur à 300 francs et un téléphone à 80. «Outre la beauté, l’important, c’est l’usage des choses.» Pilier de l’art contemporain au sud des Alpes, se considérant lui-même comme «un manager culturel de projets artistiques», Riccardo Lisi a contribué à former de nombreux jeunes curateurs. Il regrette cependant que, par manque d’espaces pour créer, les artistes tessinois désertent le canton.
1963 Naissance à Pescara (I), dans la région des Abruzzes
1996 Premiers pas comme commissaire d’expositions.
2012 Devient directeur du centre d’art contemporain la rada, à Locarno.
2018 Première exposition solo en tant qu’artiste, «Prisma», à Lugano. Puis il est choisi par Pro Helvetia pour faire partie du jury de sélection des Suisses à la Biennale de Venise.
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